« Chasse aux sorcières » ou lutte contre la corruption, les nouvelles autorités ciblent des cadres de l’ancien régime

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« S’il faut les tirer par les orteils, nous le ferons pour qu’ils reviennent. Dans les jours à venir, c’est par dizaines qu’ils vont rendre compte. » Le 4 septembre, le premier ministre du Sénégal, Ousmane Sonko, a haussé le ton dans le dossier dit de « la reddition des comptes » visant plusieurs cadres de l’ancien régime de Macky Sall, qui a quitté le pouvoir en avril.

Cinq jours plus tard, Abdoulaye Saydou Sow, ancien ministre de l’urbanisme de l’ex-président Macky Sall, tenait une conférence de presse au siège de son parti, l’Alliance pour la république (APR), aujourd’hui dans l’opposition. M. Sow a notamment expliqué avoir été empêché de sortir du territoire sénégalais, sans qu’on lui donne plus de précisions, alors qu’il devait se rendre en sa qualité de vice-président de la Fédération sénégalaise de football (FSF) à un match de l’équipe nationale au Malawi.

Difficile de ne pas y voir un lien avec ce que M. Sonko avait ajouté lors de sa prise de parole, le 4 septembre : « Nous avons pris des mesures conservatoires pour que certains ne puissent pas sortir du pays. »

Les nouvelles autorités sénégalaises n’ont de cesse de fustiger la gouvernance de Macky Sall. Ousmane Sonko et le président Bassirou Diomaye Faye avaient fait de la transparence et de la lutte contre la corruption des thèmes importants de la campagne présidentielle. Le chef de l’Etat en avait même tiré un slogan : « Jub, Jubbal, Jubbanti », un concept wolof renvoyant à l’intégrité et la droiture.

« Des dérapages volontairement cachés »

En juillet, trois mois après son élection, il avait demandé à l’Inspection générale d’Etat (IGE) un audit sur la gestion de plusieurs dizaines de directions, agences et fonds publics. Dans un discours le 12 septembre, M. Diomaye Faye a déclaré qu’un rapport avait été soumis à la Cour des comptes et a dénoncé « des dérapages volontairement cachés » qui auraient mis à mal les finances de l’Etat.

Depuis le mois de juillet, des listes de noms circulent dans la presse et dans des groupes WhatsApp de la classe politique. Ceux d’anciens ministres et dirigeants d’agences ou d’institutions publiques qui seraient dans le collimateur des autorités pour des dossiers relatifs à la gestion des deniers publics. Manar Sall, ancien directeur général de Petrosen, la compagnie nationale de production pétrolière, a, comme M. Sow, été empêché de quitter le pays le 10 septembre. Ce fut aussi le cas de Mamadou Gueye, militant à l’APR de M. Sall et ancien directeur des impôts et domaines.

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L’ancien parti au pouvoir dénonce une « chasse aux sorcières ». « Nous pensons qu’au moins une cinquantaine de personnes sont visées et, parmi elles, d’anciens ministres et de nombreux potentiels candidats aux élections législatives du 17 novembre », s’indigne Omar Youm, cadre du parti et ancien ministre de M. Sall. Cet avocat de profession dénonce aussi des procédures qui lui semblent floues.

« Ces personnes empêchées de voyager ne savent même pas si elles sont formellement visées par des enquêtes judiciaires. Il y a de fortes chances que ces restrictions graves ne reposent sur aucune base légale », dénonce-t-il.

Création d’un nouveau pool judiciaire

En réaction, une dizaine d’associations de défense des libertés publiques et individuelles ont signé un texte appelant les autorités « à veiller à ce que la reddition des comptes soit menée dans un cadre légal et équitable ». « Tout le monde s’accorde à dire que le procès de Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, en 2014, avait été entaché par le non-respect des droits à la défense. Et cela avait fait du mal à la lutte contre la corruption. Cette fois, les nouvelles autorités doivent faire mieux », estime Alioune Tine, dirigeant d’une de ces associations.

Le ministère de la justice ne se montre guère loquace sur le sujet, assurant seulement que les interdictions de sortie du territoire relèvent du procureur de la République et « qu’au moins cinq personnes mises en cause ont déjà disparu dans la nature ». « En l’absence de poursuites connues et notifiées, aucune loi ne permet à un procureur d’entraver la liberté d’un citoyen et mon client, comme d’autres, n’a reçu aucune précision de cet ordre », s’agace un avocat de M. Sow. A écouter ce juriste de renom, les procédures en cours sont « brouillonnes » et « politiques ».

Au parti de MM. Sonko et Diomaye Faye, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), on se défend de toute forme d’instrumentalisation de la justice. « La population veut cette reddition des comptes. En vérité, la rue nous dit qu’on ne va pas assez vite, pas assez durement. Mais on veut faire les choses comme il faut », assure Ayib Daffé, secrétaire général du parti.

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Ce dernier en veut pour preuve que le président Diomaye Faye « a doté le nouveau pool judiciaire financier de bureaux, d’équipes et de moyens solides ». Le 17 septembre, vingt-sept magistrats spécialisés dans la lutte contre la corruption et les crimes économiques ont été officiellement installés au sein d’un nouveau pool judiciaire qui remplace la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI). Ce nouveau pool, pensé sous l’ancien chef de l’Etat, M. Sall, dispose de compétences élargies par rapport à l’ancienne CREI.

Mais surtout, contrairement à celle-ci, il prévoit la possibilité pour la défense de faire appel et met fin aux règles de procédures qui renversaient la charge de la preuve et faisait des justiciables des présumés coupables. Le procureur nommé à la tête de l’institution s’est empressé d’appeler les magistrats « à faire leur travail conformément à la loi, dans le respect de la dignité de la personne et des droits de la défense ».

Dans l’arène politique, les anciens opposants au régime de Macky Sall réclament eux aussi des comptes. Avec sa verve habituelle, Aminata – dite « Mimi » – Touré, ancienne première ministre ralliée à Bassirou Diomaye Faye, a ainsi récemment déclaré à propos d’Amadou Ba, ex-chef du gouvernement de M. Sall et candidat malheureux à la dernière présidentielle, qu’il « devrait parler de ses anciennes responsabilités de ministre des finances. Au-delà de sa fortune personnelle (…), il sait qu’il a des explications à fournir sur de nombreux dossiers financiers ».

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