Comment la RDC se prépare à mener sa première campagne de vaccination contre le paludisme

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Sur la plate-forme du port de Kinkolé, à une heure de route du centre de Kinshasa, une chaîne de manutentionnaires s’affaire, sous la chaleur d’avril, à transférer des centaines de bacs isothermes des camions réfrigérants vers les chambres froides. Ils déchargeront bientôt les précieuses doses du vaccin R21/Matrix-M, développé par le laboratoire de l’université d’Oxford, destinées à la toute première campagne de vaccination contre le paludisme que le ministère de la santé de la République démocratique du Congo (RDC) a annoncée pour début juillet.

Alors que deux vaccins ont été mis au point ces dernières années après plus de trente ans de recherches, c’est toute l’Afrique qui est désormais engagée dans une bataille décisive en accueillant cette nouvelle arme dans son arsenal de lutte contre la maladie. Transmis par le moustique anophèle, le parasite Plasmodium falciparum a tué 608 000 personnes dans le monde en 2022, dont la quasi-totalité sur le continent, selon les derniers chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En RDC, il est la première cause de mortalité.

Après une phase pilote du premier sérum RTS, S (Mosquirix) du laboratoire britannique GSK, dont ont bénéficié le Ghana, le Malawi et le Kenya entre 2019 et 2021, ainsi que le Sénégal, le Burkina Faso, le Liberia, le Niger, la Sierra Leone et le Cameroun, notamment, qui ont lancé leur campagne de vaccination en 2023 et en janvier.

« Calibrage de la réponse »

La RDC, où le nombre de morts du paludisme est le plus important après le Nigeria avec près de 75 000 décès en 2022 – dont plus des trois quarts sont des enfants de moins de 5 ans – était, elle aussi, bénéficiaire d’une dotation de 1,2 million de doses sur les 18 millions commandées par le fonds GAVI l’Alliance du vaccin. Mais, face au constat d’une chaîne du froid encore sous-dimensionnée, Kinshasa avait renoncé. « Ç’aurait été comme mettre une grande pompe dans un petit tuyau tellement le changement d’échelle qui s’annonce est important », illustre le docteur Hamed Idrissa Traore, responsable de la chaîne du froid pour l’Unicef.

« C’est aussi une question de calibre de la réponse, décrypte Matthew Grek, de GAVI. Le vaccin, pour être au maximum de son efficacité, doit être administré en quatre doses dès l’âge de 5 mois. Pour un pays de la taille du Congo, cela demande une planification et des stocks très importants avec de grosses capacités de la part du fabricant, ce qui est le cas du Serum Institute of India (SII), qui produit le R21/Matrix-M alors que le Mosquirix est fabriqué en petites quantités. Enfin, il n’était pas pertinent de commencer par un vaccin et de poursuivre avec un autre. »

« C’est un retard pour un mieux, explique le docteur Aimé Cikomola, le directeur du Plan élargi de vaccination (PEV) du ministère de la santé, car le second vaccin a aussi démontré une meilleure efficacité et sera moins cher. C’est loin d’être un détail pour nous. » Le pays, qui paie 20 % de la commande, doit d’ici à juin recevoir 630 000 doses du R21/Matrix-M fabriqué par le SII qui a débuté ses livraisons en mai. « Cela ne permettra pas de couvrir tout le territoire, poursuit le médecin. Mais en 2025, nous monterons en puissance. »

« La solution passe par l’avion »

Pour décentraliser l’acheminement et augmenter le stockage des tonnes de vaccins dont le pays a besoin afin d’assurer sa vaccination infantile de routine à laquelle vient s’ajouter celle contre le paludisme, les autorités sanitaires se sont lancées, avec l’appui financier de la Banque mondiale, de l’OMS, de l’Unicef et de GAVI, dans la construction de plusieurs sites de stockage : deux hubs dans des villes qui disposent d’un aéroport international pouvant directement accueillir les livraisons sans transiter par celui de Kinkolé, et trois entrepôts secondaires. Après l’ouverture en 2021 de la plate-forme de Kisangani, la grande ville du centre nord située à 2 300 km de Kinshasa par la route, un autre est en passe d’être achevé à Lubumbashi pour une mise en service fin juin.

« Pour le moment, c’est encore le hub de Kinkolé, qui approvisionne les 26 provinces par la route, relate le docteur Hamed Idrissa Traore de l’Unicef. Mais le réseau, très mal développé, est régulièrement détérioré par les pluies et les inondations. Nous avions donc un véritable problème de logistique pour que les vaccins conservent leur qualité maximale jusqu’au dernier kilomètre. » La route nationale 1, par exemple, qui traverse le pays par le sud, reliant la capitale, à l’ouest, aux grandes villes de Mbuji-Mayi (centre) et de Lubumbashi (est), est en cours de réfection. « La solution passe donc par l’avion, et peut-être aussi un jour par le fluvial, explique le docteur Idrissa Traore. Ne pas exploiter cette piste dans un pays traversé par l’énorme fleuve Congo et ses affluents serait absurde ! »

Le médecin revient tout juste de Goma, dans l’Est, où il a visité le chantier d’un entrepôt secondaire qui doit compléter le maillage territorial de ce pays grand comme quatre fois la France. Le site qui a vocation à terme à devenir lui aussi un hub grâce à son aéroport international, s’ajoute à ceux de Bukavu (Sud-Kivu) et de Bunia (Ituri) livrables fin juin qui permettront de faire baisser les coûts de 30 %, estime le docteur Hamed Idrissa Traore.

Réfrigérateurs solaires

« Depuis l’inauguration du hub de Kinkolé en 2018 jusqu’à aujourd’hui, nous avons multiplié par plus de dix notre volume net de stockage, détaille Jelly Cola, le logisticien qui gère le site pour le compte du PEV. Et l’énergie solaire va nous permettre d’améliorer la qualité de l’électricité dont dépend la qualité de conservation. » Les batteries de la plate-forme de Kinkolé doivent être renouvelées dans les prochains mois pour mettre à profit les 600 m2 de panneaux solaires installés sur les vastes hangars. Les stocks seront alors dispatchés dans près de 120 antennes à chambre froide, dont certaines peuvent conserver les sérums les plus fragiles comme celui contre le virus Ebola, à – 80 °C, d’où partiront par route les vaccins vers les 9 217 centres de santé dont la quasi-totalité est désormais équipée de réfrigérateurs solaires.

Du camion frigorifique au pick-up en passant par la moto à glacières, c’est donc aussi toute la flotte terrestre qui a été renforcée pour atteindre une population encore à très grande majorité rurale, vivant aussi bien dans la forêt tropicale, les vallons désertiques du Haut-Katanga ou les montagnes du Rift tempérées par l’altitude – le mont Stanley, situé dans le massif du Rwenzori, culminant à 5 109 m.

« Cette petite révolution a commencé en 2016, rappelle le docteur Idrissa Traore, avec un agenda mondial renforcé pour assurer une immunisation globale des populations dont l’interdépendance n’est plus à démontrer depuis le Covid-19. La lutte contre le paludisme en bénéficie à plein. » 

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