Comment les Emirats arabes unis renforcent leur influence dans la Corne de l’Afrique

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Au moment de survoler le Tchad, les avions éteignent leurs transpondeurs, disparaissant des écrans radars. Ils réapparaissent plus tard sur le tarmac de l’aéroport d’Amdjarass, ville de naissance du président tchadien Idriss Déby, mort en avril 2021, non loin de la frontière avec le Soudan. De juin à septembre 2023, un mystérieux ballet aérien de plus d’une centaine d’avions-cargos a relié Abou Dhabi, la capitale des Emirats arabes unis (EAU), à cette localité désertique de l’est du Tchad.

Officiellement, ces appareils émiratis équipent et ravitaillent un hôpital de campagne construit pour venir au secours de centaines de milliers de civils soudanais fuyant leur pays ravagé par la guerre qui oppose, depuis le 15 avril 2023, l’armée régulière du général Abdel Fattah Al-Bourhane aux Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohammed Hamdan Daglo dit « Hemetti ». La catastrophe humanitaire ne fait aucun doute. Avec plus de 553 150 nouveaux réfugiés en provenance du Darfour recensés à la mi-février, les Nations unies ont alerté sur la « perspective réelle » d’un afflux croissant de Soudanais au Tchad. En revanche, la vocation du petit hôpital, installé dans le désert, à plus de deux jours de route des immenses camps de réfugiés, n’a pas tardé à attirer la suspicion sur les motivations de la pétromonarchie du Golfe qui, depuis les remous géopolitiques provoqués par les « printemps arabes » de 2011, utilise sa fortune et son arsenal militaire pour créer des réseaux et étendre son influence en Afrique.

« Sous couvert de mission humanitaire, les Emirats arabes unis ont tout simplement loué une piste d’atterrissage au gouvernement tchadien pour livrer des armes à leur allié au Soudan », résume un responsable qui désire garder l’anonymat. Armes, munitions et médicaments, destinés au général Hemetti et à ses combattants des FSR, sont déchargés dans les hangars d’Amdjarass avant d’être transférés par camions jusqu’à la frontière, poreuse. Les cargaisons prennent ensuite la route du nord du Darfour, jusqu’à Al-Zurrug, localité fantomatique absente de Google Maps, devenue bastion des FSR, qui contrôlent désormais près de la moitié du Soudan.

Abou Dhabi insiste sur le caractère humanitaire de son intervention dans la région et nie en bloc toute ingérence dans le conflit qui déchire le troisième plus grand pays d’Afrique. Mais ces opérations secrètes ont été corroborées par de nombreuses sources soudanaises, tchadiennes et occidentales interrogées par Le Monde. Elles sont aussi confirmées par un rapport d’experts, adressé au Conseil de sécurité des Nations unies, non publié, mais que Le Monde a pu consulter : « Depuis le mois de juillet [2023], les FSR ont déployé certains types d’armes sophistiquées dont des drones, des obusiers, des lance-roquettes et des missiles antiaériens, détaille le document. Cette nouvelle force de frappe a eu un impact énorme sur l’équilibre des forces, au Darfour comme dans d’autres régions du Soudan, permettant notamment aux FSR de contrer l’atout principal des FAS [Forces armées soudanaises, nom de l’armée régulière soudanaise], son aviation. »

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