dans les « podi », des malades bénévoles au plus proche des patients

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« Bonjour Stella. Tout s’est bien passé ces derniers mois ? La santé de Suzy est toujours bonne ? » (Les deux personnes ont souhaité conserver leur anonymat). L’étudiante, visiblement timide, opine de la tête avant de s’engouffrer dans le conteneur aménagé en bureau. Le secrétaire l’enregistre avant de la diriger vers le second conteneur transformé en pharmacie.

C’est dans ce poste de distribution communautaire, un « podi », situé hors les murs de l’hôpital et caché des curieux au bout d’une longue allée de terre battue détrempée par les pluies, que Stella vient chercher quatre fois par an les antirétroviraux (ARV) destinés à sa mère. Stella est ce qu’on appelle à Kinshasa une « dame de confiance ». Chaque trimestre, elle parcourt en bus, durant plus de quatre heures, les 150 km qui séparent la ville de la province du Kongo-Central de la capitale.

« Par peur de la stigmatisation, certains malades procèdent ainsi, explique Clarisse Mawika, qui coordonne l’approvisionnement des dix-huit podi de la République démocratique du Congo (RDC). La mère de Stella habite Lubumbashi, dans le sud-est du pays, où il n’y a pas encore de podi. Elle refuse de se rendre au centre de santé de son district de crainte d’être montrée du doigt. »

Stella enverra donc à sa mère son traitement par avion en le confiant à un proche qui se rend à Lubumbashi, situé à 1 800 km de là. Dépistée en 2018, Suzy est une patiente de 65 ans vivant avec le VIH mais dont la charge virale a été rapidement stabilisée. Elle ne doit plus se rendre à l’hôpital qu’une fois par an pour faire vérifier si le virus n’a pas repris de la vigueur.

Créer « un lien de confiance »

En quelques minutes, Stella s’en est retournée aussi discrètement qu’elle est venue. « C’est l’une des raisons de l’existence des podi. Il y a vingt ans, on passait des heures à l’hôpital, complètement engorgé de malades, pour pouvoir repartir avec son traitement. On y sacrifiait des journées de travail entières », relate André Sukadi, le président du Réseau national des organisations à assise communautaire (RNOAC).

Séropositif depuis plus de vingt ans, ce sexagénaire raconte comment l’idée de délocaliser la distribution des traitements a surgi au sein des premiers groupes de parole : « Nous nous réunissions pour partager nos expériences de vie positives avec le VIH. A cette époque-là, les ARV étaient réservés aux malades en stade 4, le plus grave. Ceux qui se sentaient les plus forts avaient à cœur d’aider les plus fragiles. Le sida tuait beaucoup à cette époque. Ma première épouse en est décédée. »

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Au début des années 2000, les organisations à assise communautaire (OAC) se multiplient rapidement à Kinshasa par groupe de vingt-cinq personnes et décident de se prendre en main pour améliorer leur vie quotidienne. Elles se fédèrent en créant le Réseau national en 2004, qui obtient du gouvernement l’habilitation d’ONG de droit congolais trois ans plus tard. « C’est cela qui nous a permis de créer le tout premier podi en 2010 », raconte André Sukadi.

« Le fait qu’il s’agisse de poste de distribution implique que nous soyons ouverts en permanence, explique à son tour Jean Ngombo, superviseur des neuf podi de Kinshasa. Notre disponibilité et notre statut de malade créent un lien de confiance avec les nouveaux arrivants. Ils retrouvent courage en voyant qu’on réussit à vivre une vie normale. C’est crucial quand on parle de traitement à vie. »

« Acteurs et bénéficiaires »

Médecins sans frontières (MSF), qui gère depuis plus de vingt ans une unité de soins au sein du centre hospitalier public de Kabinda, à Kinshasa, accepte de former ces bénévoles et transmet le relais du premier podi à la RNOAC l’année même de sa création. « Nous sommes devenus à la fois les acteurs et les bénéficiaires de ce service », souligne, avec une pointe de fierté, André Sukadi.

Les traitements n’ont plus de secrets pour eux. « Nous avons ici toutes les molécules disponibles, explique Clarisse Mawika. Car certains patients ne supportent pas le cocktail standard. » C’est elle qui passe toutes les commandes nationales afin qu’il n’y ait aucune rupture d’approvisionnement après validation des responsables des zones de santé, « car nous ne sommes pas médecins ».

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Cette initiative « des malades, par les malades et pour les malades », précise André Sukadi, éveille l’intérêt des autorités sanitaires, qui intègrent en 2014 le podi au Plan national de lutte contre le sida (PNLS). Les hôpitaux publics leur envoient dès lors systématiquement les malades adultes stabilisés et le modèle de gestion communautaire est ainsi dupliqué dans tout le pays. Avant de s’exporter sur le continent sous l’impulsion du Fonds mondial des Nations unies.

« Ces podi ont été une grande avancée dans la lutte, explique la docteure Gisèle Mucinya, coordinatrice médicale du centre MSF de Kabinda, mais aussi dans l’autonomisation des malades. » Au fil des ans, les podi ont étoffé leur expertise et leur offre de soins. On peut s’y faire dépister, surveiller une fois l’an sa charge virale et bénéficier d’une évaluation nutritionnelle.

« Nous sommes des militants à visage découvert »

Tous les « perdus de vue » qui ne se sont pas présentés pour venir chercher leur traitement sont systématiquement recontactés et les agents communautaires effectuent au besoin des visites à domicile. « Dans certains podi, on assure le planning familial, détaille encore Clarisse Mawika. Maintenant, on dépiste aussi la tuberculose et même des maladies non transmissibles telles que le diabète et certains cancers. On envoie les patients vers l’hôpital quand c’est nécessaire. »

Pour l’année 2023, les dix-huit podi congolais ont géré 13 487 patients adultes. « Mais ce n’est pas suffisant pour couvrir un pays vaste comme la RDC, reconnaît André Sukadi. Nous allons travailler à convaincre nos partenaires financiers pour que chacune des 519 zones ait son podi. »

Alors que le réseau de militants devrait achever son autonomisation d’ici à la fin de l’année en devenant récipiendaire direct des financements nécessaires à son fonctionnement, les podi entendent garder l’esprit qui les a vus naître. Sous l’auvent aménagé de quelques bancs de bois, six personnes échangent en lingala. « Notre petit espace continue d’être un lieu de débat entre associations où l’on partage nos expériences de vie et de terrain. Nous sommes des militants à visage découvert », lance André Sukadi d’un air complice.

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