LA LISTE DE LA MATINALE

Cette semaine, des chemins de traverse. Ceux des jeunes « décrocheurs » des zones rurales françaises. Ceux des écolos qui prônent la désobéissance civile. Ceux de ces jeunes autistes pour qui le foot est une thérapie. Ceux d’Andrée Putman, qui ne s’embarrassait pas de présupposés et de savoir pour réinventer nos intérieurs. Ceux de Patrick Edlinger, qui escaladait les falaises tel un écureuil et finit par mourir d’une chute dans les escaliers. Ceux de cette civilisation andine écologiste et féministe cinq mille ans avant nous. Ceux, enfin, de Milan Kundera, qui passa sa vie à soigner ses désillusions en la consacrant à l’art du roman dont il est devenu l’un des derniers géants.
Les chemins de travers(e) des « décrocheurs » ruraux
« Mon objectif est de trouver un travail fixe et qui me plaît, sans avoir un patron qui nous engueule à longueur de journée. » Tiffany a 19 ans et bénéficie de la Garantie jeunes, dispositif d’aide de l’Etat pour les personnes entre 16 et 25 ans. Le réalisateur Ilan Teboul s’est intéressé à la recherche d’emploi et de repères de « décrocheurs » – ils sont près de 500 000 chaque année en France –, sans diplôme et sans formation mais déterminés à dépasser la « honte » de la précarité.
Il s’est rendu en Alsace et a posé ses caméras à la mission locale de Molsheim (Bas-Rhin), en amont de la vallée ouvrière de la Bruche, à une demi-heure de route de Strasbourg. Plusieurs dizaines de jeunes y reçoivent un accompagnement intensif à la recherche d’emploi. Certains n’ont pas quitté leur chambre depuis plus d’un an et ne fréquentent que leur famille au quotidien. Réussir rime avec partir, en quelque sorte. Mais ce premier départ relève déjà de l’expédition : sans permis, l’une doit prendre trois bus, une autre se lève aux aurores et finit sa nuit dans la voiture de sa belle-mère…
Mobilité, exclusion, rupture avec le monde du travail, le réalisateur montre autant les impasses de certains rapports de domination des adultes envers les jeunes que le trajet pudique de ceux-ci vers les autres pour « refaire société » et prendre plus sereinement leur indépendance. « Quand je voulais partir en études de photographe et que ma prof de maths m’a dit que jamais je ne pourrais y arriver avec ma moyenne et que je devrais faire un bac pro commerce à la place, je l’ai écoutée. Et je regrette », dit Sandra, en atelier collectif de théâtre. Rompre l’inertie, c’est aussi accepter de se dévoiler dans les ateliers collectifs de la mission locale, oser déranger, dépasser la honte que l’on tire de sa précarité ou des violences que l’on subit. Croire en soi, tout simplement. M. E. M.
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