
L’image est cruelle et le contraste saisissant. D’un côté, la petite ville d’Erzin, dans la province de Hatay, la région du sud de la Turquie la plus touchée par le séisme du 6 février, ses 42 000 habitants et ses maisons de petite taille, toutes debout. De l’autre, la région alentour et ses paysages apocalyptiques, les quartiers entiers rasés d’Antakya ou de Dörtyol, aplatis comme des feuilles de papier, ses scènes de désolation et de mort.
A l’exception de quelques rares maisons et des minarets des mosquées, Erzin n’a enregistré aucun dommage, ni victimes ni blessés. Interrogé, le jeune maire de la commune, Okkes Elmasoglu, a expliqué qu’il n’avait jamais autorisé de construction illégale. « Certains ont essayé, a-t-il précisé. Nous les avons alors signalés au bureau du procureur et pris la décision de démolir les édifices. » Ici, la majorité des habitations sont soit individuelles, soit à quatre étages. Le bâtiment le plus élevé en compte six. « Nous devons tous ensemble changer radicalement de mentalité, ajoute l’élu. Si une maison doit être détruite, il faut rester rigoureux, l’Etat ne doit pas octroyer de privilèges et le citoyen ne doit pas chercher de passe-droits. » Et puis ceci, sur le même ton de l’évidence et de la simplicité : « Nous avons tous besoin d’un meilleur fonctionnement des mécanismes de contrôle du pouvoir. »
Tout est dit des rapports de la puissance publique et du secteur de la construction. Les mots de l’édile local viennent à l’appui des critiques de plus en plus nombreuses d’experts qui dénoncent le manque d’anticipation des autorités, mais aussi la corruption des promoteurs immobiliers et leur collusion avec les plus hautes sphères du pouvoir turc. Un cocktail mortifère dans un pays à haut risque sismique, situé à la croisée de trois plaques tectoniques extrêmement actives.
« On peut prévenir une catastrophe »
En un peu plus d’un siècle, la Turquie a connu une vingtaine de tremblements de terre d’une magnitude supérieure à 7 sur l’échelle de Richter. Près de 7 habitants sur 10 vivent dans une zone sismique, soit 60 millions de personnes sur 85 millions. Aujourd’hui, au moment même où la panique des premières heures a largement cédé la place à la colère des survivants, le dernier bilan – encore provisoire – fait état de 40 000 morts et près de 26 millions de personnes affectées sur l’ensemble de la région.
« Il s’agit d’un désastre causé par des constructions de mauvaise qualité, pas par un tremblement de terre », dit sans détour David Alexander, professeur de planification d’urgence à l’University College de Londres. « Bien sûr que l’on ne peut pas prévenir un séisme, mais on peut prévenir une catastrophe, abonde Taner Yüzgeç, de l’Union des chambres d’ingénieurs et des architectes de Turquie. Dans notre pays (…), les lois et les règlements adoptés, les plans et les projets créés après des années de travail restent sur le papier. Après la tragédie, on panse les plaies, et puis rien. La spéculation et la rente continuent, les étages s’élèvent toujours un peu plus haut. » D’après ses données, sur les quelque 10 millions d’édifices érigés en Turquie, 6,5 à 7 millions seraient à risque.
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