Dix ans après Ebola, la Sierra Leone surveille une autre fièvre tueuse

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Fourrageant dans le noir d’une petite maison de terre de l’est de la Sierra Leone, l’écologue James Koninga extirpe de sous un lit défoncé un piège à rats, appareil rudimentaire mais essentiel contre un mal mortel, la fièvre de Lassa.

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Le scientifique de 62 ans fait partie d’un groupe de chercheurs qui étudient cette maladie hémorragique virale endémique dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et transmise par les rongeurs. Il en connaît les effets : il y a trente ans, le virus l’avait envoyé, alors jeune chercheur, à l’hôpital avec fièvre, diarrhée et maux de tête. Vingt jours de calvaire. « Je me voyais partir, je me voyais mourir », se souvient-il.

Il y a dix ans, une autre maladie virale et hémorragique, Ebola, semait la mort et la peur en Afrique de l’Ouest. Partie de Guinée en 2013, atteignant la Sierra Leone et le Liberia, l’épidémie, la plus grave depuis la découverte du virus en 1976, avait fait plus de 11 000 morts en deux ans. La Sierra Leone n’a plus connu de cas d’Ebola depuis 2016, en partie grâce à la vaccination.

« Hôtels cinq étoiles »

Les enseignements d’Ebola, qui a coûté la vie à environ 4 000 Sierra-Léonais, servent maintenant aux scientifiques dans cet autre combat qu’ils mènent contre la fièvre de Lassa, à commencer par la région de Kenema, la première en Sierra Leone où Ebola fut signalée il y a une décennie. « Les gens croyaient que c’étaient les agents de santé qui transmettaient Ebola », se souvient Lansana Kanneh, 58 ans, superviseur de terrain à l’Hôpital gouvernemental de Kenema (KGH).

A 1 %, le taux de létalité de la fièvre de Lassa est très éloigné de celui d’Ebola, qui culmine à 50 % en moyenne, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Mais il peut atteindre 15 % chez les patients atteints de formes sévères. Les chercheurs sont donc aux aguets du moindre signe de progression de la maladie. Le nombre de cas stagne, mais ils sont plus largement répandus sur le territoire. Il n’y a pas de vaccin reconnu, les traitements sont limités et les médecins se heurtent, comme avec Ebola, à des obstacles qui font obstruction à une prise en charge précoce, meilleure garantie de guérison. L’éloignement des centres de santé et plusieurs heures de routes cahoteuses pour y parvenir dissuadent la population de réagir tôt. Or détecter le mal de manière précoce est vital alors même que les premiers symptômes comme les poussées de fièvre peuvent être confondus avec ceux du paludisme, du choléra ou de la typhoïde.

Surveiller les rongeurs est aussi crucial dans la région de Kenema et des villages reculés comme celui de Mapuma, où opère aujourd’hui James Koninga au milieu des habitations nichées dans la forêt dense. Des poseurs de pièges capturent jusqu’à vingt rats par jour. Ils s’assurent d’abord que les rongeurs sont du genre Mastomys, réservoir du virus. Ils procèdent à des prélèvements qui sont analysés. Les rats sont relâchés après une injection qui bloque la transmission du virus.

Le virus se transmet à l’homme principalement par contact avec des aliments ou des articles ménagers contaminés par l’urine ou les excréments des rongeurs. « Les rats creusent leurs terriers à l’intérieur des maisons » et y laissent leurs déjections, explique le scientifique, affublé d’un masque et de gants de protection. « Que les gens reviennent de la brousse avec quelque plaie et s’allongent sur le lit, et ils risquent d’être infectés. »

Proximité de la brousse, constructions en terre, stockage ouvert du grain et de l’eau : ces lieux sont des « hôtels cinq étoiles » pour les rats, explique Lansana Kanneh. Mais « la nourriture est tellement rare pour les gens, ajoute-t-il, qu’il leur arrive de manger celle partiellement mangée par les rongeurs ».

« C’est maintenant qu’il faut agir »

La fièvre affecte entre 100 000 and 300 000 personnes par an en Afrique de l’Ouest et en tue environ 5 000, selon les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC). Des chiffres probablement inférieurs à la réalité.

Si les admissions au service spécialisé de l’hôpital de Kenema, seul centre de traitement dédié en Sierra Leone, ont diminué depuis dix ans, l’image est trompeuse. Les malades arrivaient autrefois à la saison sèche, entre novembre et mai. Désormais, « nous voyons des cas toute l’année », témoigne le docteur Donald Grant, chef du programme sur la fièvre de Lassa du KGH. Et la mortalité parmi les personnes hospitalisées a augmenté de façon alarmante pour dépasser 50 %. « Elles passent parfois vingt-quatre ou quarante-huit heures à l’hôpital, et puis meurent », rapporte Lansana Kanneh.

L’équipe observe également une augmentation des cas hors des districts jadis endémiques. Le docteur Grant invoque l’expansion des activités humaines dans la forêt, qui les rapproche des rats. Il espère l’arrivée d’un vaccin homologué dans les prochaines années. Un sérum est actuellement en phase intermédiaire de tests cliniques sur plusieurs centaines de personnes au Nigeria et au Liberia. En attendant, le médecin appelle à rester vigilant. « Ebola nous a appris qu’il ne faut pas attendre le point critique où l’épidémie nous submergera tous, prévient-il. C’est maintenant qu’il faut agir ».

Le Monde avec AFP

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