« Je n’ai jamais souhaité quitter l’Algérie. C’est mon pays, ma terre. Là où je me suis battue. Ce sont les circonstances qui me l’ont imposée. La pression devenait insupportable. » Pour l’opposante algérienne Amira Bouraoui, l’équation était simple : la prison ou l’exil. Quand on la rencontre, mardi 7 février au matin, gare de Lyon, à Paris, tête emmitouflée dans un bonnet de laine et valise à roulettes au bout des doigts, perdue sur des quais désertés par la grève qui frappe la France ce jour-là – son train est quasiment le seul à circuler –, elle a encore les traits tirés par la folle escapade qui l’a sauvée in extremis des geôles algériennes. La peur se lit toujours sur son visage.
La veille, en fin de soirée, elle avait débarqué à Lyon d’un avion pris à Tunis grâce à l’assistance diplomatique de Paris qui, invoquant sa nationalité française (elle est binationale), avait convaincu la présidence tunisienne de ne pas permettre l’extradition vers l’Algérie à laquelle elle semblait condamnée. L’intervention consulaire française a provoqué une nouvelle poussée de fièvre dans la relation entre Paris et Alger.
Entrée clandestinement en Tunisie le 3 février, Amira Bouraoui avait déjà été emprisonnée en juin et juillet 2021 en Algérie. Elle y avait été condamnée à deux ans de prison pour « atteinte à la personne du président de la République » et « offense à l’islam ». Si cette sentence n’a pas été suivie à l’époque d’un mandat de dépôt à l’audience, elle restait exécutable au moindre faux pas, à la moindre déclaration pouvant déplaire au pouvoir. Une extradition de Tunisie vers l’Algérie lui aurait valu immanquablement de retourner derrière les barreaux.
« La peur fait son grand retour »
Sur la route de l’exode, elle n’est pas seule. A l’instar de Mme Bouraoui, les opposants fuient à grande échelle une Algérie à l’atmosphère devenue « irrespirable », disent-ils. Un pays en pleine dérive autoritaire où l’arrestation guette à tout instant ceux qui se sont trop affichés durant le Hirak (commencé en 2019 avec des manifestations contre le cinquième mandat de l’ex-président Bouteflika, avant de se muer en mouvement de contestation), en particulier ceux qui ont poursuivi le combat après l’essoufflement de la mobilisation populaire amorcé au printemps 2020, restrictions anti-Covid obligent. Ils sont des milliers à s’être ainsi exilés en France et ailleurs en Europe, ou encore au Canada. Certains ont transité par la Tunisie, une étape sensible et périlleuse depuis qu’Alger a renforcé son influence sur le régime de Kaïs Saïed. Mme Bouraoui n’a dû son salut qu’à la détention d’un passeport français. D’autres n’ont pas eu cette chance. Tel Slimane Bouhafs, sympathisant du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) et converti au christianisme, qui a été enlevé en août 2021 au cœur de Tunis par des inconnus qui l’ont rapatrié de force en Algérie.
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