La demande émane désormais explicitement de la cheffe du gouvernement. Dans un entretien à l’Agence France-Presse lundi 13 février au soir, Elisabeth Borne demande le « retrait des amendements qui n’ont pas d’autre objet que de faire de l’obstruction et de retarder » l’examen du projet de réforme des retraites à l’Assemblée nationale, ainsi que la fin des « invectives », après une série d’incidents enregistrés dans l’Hémicycle.
La première ministre exhorte les parlementaires à ce que « les débats se tiennent sur le fond et non pas dans l’invective », estimant que « les Français méritent mieux » et que « beaucoup des amendements sont là simplement pour empêcher le débat d’avancer ». « Je demande aux oppositions de permettre que l’examen du texte progresse, que les discussions puissent avoir lieu », ajoute-t-elle.
Rappelant que les députés n’en sont qu’à l’examen de l’article 2 – prévoyant le dispositif d’« index senior »– et qu’il leur reste « des milliers d’amendements avant le vote de la première partie et l’examen de l’article 7 », prévoyant le report de l’âge de 62 à 64 ans, ce alors que les débats doivent se terminer vendredi soir dans l’Hémicycle, Mme Borne ajoute : « On souhaite vraiment qu’il y ait un débat démocratique sur ce texte, qu’on puisse discuter argument contre argument, projet contre projet ».
Peu après les propos de la première ministre, sous la pression du reste du gouvernement et de l’opposition, et après en avoir déjà retiré une centaine vendredi dernier, la coalition de la Nupes a annoncé lundi soir retirer « un millier d’amendements » pour avancer dans l’examen de la réforme. Après cette annonce, il restait encore plus de 14 000 amendements à examiner aux députés.
La stratégie de LFI critiquée aussi par les syndicats
Dans la soirée, les députés écologistes avait été les premiers à faire savoir par la voix de Sandrine Rousseau vouloir « retirer des amendements » pour « avancer » dans l’examen du texte. Ce, peu après qu’un nouvel incident survenu à l’Assemblée nationale a de nouveau échauffé les bancs de l’hémicycle et ralenti les discussions.
En début de soirée, le député La France insoumise (LFI) Aurélien Saintoul a accusé le ministre du travail Olivier Dussopt d’être un « imposteur » et un « assassin », provoquant aussitôt une suspension de séance et s’attirant la réprobation de l’ensemble des bancs de l’hémicycle. De retour dans l’Hémicycle, après avoir vu ses propos condamnés à l’unanimité, l’élu a ensuite présenté ses excuses au ministre qui les a acceptées et a été sanctionné d’un rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal. Cet incident est intervenu une semaine après qu’un autre député « insoumis », Thomas Portes, s’est vu sanctionné par une exclusion de quinze jours de l’Assemblée, des suites d’une photo postée sur Twitter où il se mettait en scène le pied posé sur un ballon à l’effigie de M. Dussopt.
Les deux épisodes alimentent ainsi le procès de la majorité et des oppositions à l’encontre de La France insoumise tant sur le ton que ses députés usent dans l’hémicycle que leur méthode parlementaire. Lundi, avant même la première ministre, pas moins de quatre ministres du gouvernement Borne sont ainsi montés au créneau contre « l’obstruction systématique » de LFI sur le dossier des retraites. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, a réclamé sur RTL que « LFI retire ses milliers d’amendements ».
« Aujourd’hui, La France insoumise est un obstacle au débat démocratique sain, clair, que nos compatriotes sont en droit d’avoir sur la réforme des retraites », a-t-il assuré, ne citant toutefois pas la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), l’alliance de gauche dont LFI fait partie avec le Parti socialiste, le Parti communiste français et Europe Ecologie-Les Verts. Olivier Dussopt, invité lui sur Franceinfo, lundi matin, a renchéri : « Nous sommes face à une obstruction systématique de la coalition autour de La France insoumise. »
C’est aussi ce que réclament en chœur les syndicats. Dimanche, le secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), Laurent Berger, dénonçait sur RTL la « connerie » de l’obstruction, visant LFI, à l’origine de la majorité des amendements déposés. Il a aussi déploré le « spectacle lamentable » à l’Assemblée, qui n’a « rien à voir avec la dignité du mouvement de la rue ». « Nous souhaitons qu’il y ait un vote sur l’article 7 », a abondé lundi, sur BFM-TV, le leader de la Confédération générale du travail (CGT), Philippe Martinez, afin que « chaque député puisse s’exprimer » sur l’allongement à 64 ans.
« Il ne faut pas tomber dans le piège de la division »
Cette pression sur les députés « insoumis », qui sont les auteurs des trois quarts des plus de 20 000 amendements déposés en séance, s’explique par la course contre la montre engagée à l’Assemblée nationale, du fait de la nature du texte qui porte la réforme : un projet de loi de finance, en l’occurrence de la Sécurité sociale. Les débats sont ainsi circonscrits dans le temps par la loi et ne peuvent pas durer plus de vingt jours à chaque lecture dans chaque chambre. Que les députés aient donc achevé ou non l’examen du projet de loi vendredi à minuit, les discussions en première lecture prendront fin et le texte partira au Sénat.
A la reprise des débats lundi après-midi dans l’Hémicycle, l’« insoumis » Eric Coquerel, président de la commission des finances, a ainsi dénoncé la « petite musique » du gouvernement sur le sujet, visant selon lui à « diviser la Nupes [et] l’intersyndicale ». Mais « n’y comptez pas avec des gros sabots comme ça », a-t-il prévenu, dénonçant plutôt la voie législative choisie par le gouvernement. « La Macronie essaye de mettre un coin entre nous (…). Il ne faut pas tomber dans le piège de la division. Il n’y a pas de compromis possible, on veut le retrait de cette réforme injuste, pas faire de la coconstruction sur un texte pareil », a abondé l’écologiste Benjamin Lucas.
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Dans la soirée, les députés poursuivaient leur examen de l’article 2 du projet de loi avec une rafale d’amendements déposés par toutes les oppositions. « L’index ne sert à rien, c’est une tartufferie de plus », a notamment attaqué à la reprise des travaux la députée « insoumise » Clémence Guetté, quand l’élu Thibault Bazin (Les Républicains) s’est dit « sceptique » – il estime que cet outil ne « va pas améliorer l’emploi des seniors ».