Une reprise, oui, mais précaire. Le diagnostic livré lundi 8 avril par la Banque mondiale sur les perspectives de croissance en Afrique subsaharienne peine à nourrir l’optimisme malgré l’annonce d’un redémarrage de l’activité économique après les chocs consécutifs de la pandémie du Covid-19, de la guerre en Ukraine et de la montée en flèche des taux d’intérêt mondiaux. Le produit intérieur brut de la région devrait progresser de 3,4 % en 2024, contre seulement 2,6 % en 2023.
« Après quatre ans passés à affronter des crises, cette reprise est bienvenue », indique au Monde le chef économiste pour l’Afrique de la Banque mondiale, Andrew Dabalen. Pour autant, nuance-t-il aussitôt, « celle-ci demeure très fragile car les moteurs de la croissance sont faibles et incertains ».
La relance est essentiellement soutenue par une diminution des pressions inflationnistes. Bien qu’une douzaine de pays continue à enregistrer des hausses de prix à deux chiffres, comme le Nigeria (+ 31,7 % en février) ou le Ghana (+ 23 %), la tendance est au ralentissement dans la plupart des économies du continent. De quoi soulager les ménages dont les revenus avaient été laminés par la flambée des prix alimentaires.
Mais cette bonne nouvelle parvient difficilement à compenser la somme d’inconnues et de risques pesant sur la trajectoire du continent. A l’extérieur, la « mollesse » de la Chine inquiète. Principal partenaire commercial de l’Afrique, acheteur incontournable de ses matières premières et premier créancier bilatéral d’une poignée de pays, le géant asiatique est aux prises avec une croissance qui fléchit, un chômage en hausse et la menace d’une crise immobilière. Une équation complexe qui se traduit déjà par une chute drastique des prêts accordés aux économies subsahariennes.
Des pays reviennent sur les marchés financiers
Cette contraction est une gageure pour le continent qui peine, depuis des mois, à trouver des sources de financement. Les investissements directs étrangers sont en baisse, l’aide au développement stagne et les marchés financiers sont devenus très difficiles d’accès pour les Etats africains émetteurs d’eurobonds, ces obligations libellées dans une monnaie différente de celle du pays.
« Plus de la moitié des gouvernements africains sont aux prises avec des problèmes de liquidités extérieures », souligne le rapport de la Banque. Le risque de surendettement reste ainsi pressant pour une majorité des pays du sud du Sahara. En 2023, les gouvernements de la région ont consacré plus de 45 % de leurs recettes aux remboursements de la dette, contre 31 % en 2022. Et trois pays – la Zambie, le Ghana et l’Ethiopie – ont déjà fait défaut depuis la pandémie.
Une embellie a tout de même semblé se profiler avec le retour consécutif, depuis la fin janvier, de la Côte d’Ivoire, du Bénin et du Kenya sur les marchés financiers. Aucun pays africain ne s’était risqué à y emprunter depuis le printemps 2022. « C’est bon signe, cela signifie que la porte se rouvre pour l’Afrique, note M. Dabalen. Mais cela ne concerne pour l’instant qu’un tout petit nombre de pays de la région et le prix à payer pour cela est très élevé. »
De fait, comme le souligne une étude récente du Center for Global Development, un groupe de réflexion de Washington, les investisseurs exigent une « prime considérable » pour acheter de la dette africaine. Le Kenya, en particulier, a levé de l’argent à un taux prohibitif de 9,75 %, pressé par l’arrivée à échéance prochaine d’un eurobond contracté il y a dix ans.
Une Afrique subsaharienne en proie aux troubles
Il reste à espérer, pour la région, que l’inflation mondiale continue à se tasser. Les banques centrales des pays développés devraient alors abaisser leurs taux d’intérêt, ce qui pourrait se traduire par une détente plus franche sur les marchés financiers.
Mais cette amélioration n’est encore qu’un pari car les tensions géopolitiques restent vives en de nombreux points du globe, de la guerre en Ukraine au conflit à Gaza en passant par les attaques des rebelles houthistes en mer Rouge. Autant de frictions susceptibles de perturber à nouveau les chaînes d’approvisionnement mondiales.
L’Afrique subsaharienne est elle-même loin d’être épargnée par les troubles : multiplication des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest, violences et insécurité du Sahel à l’Ethiopie, guerre civile au Soudan, conflits incessants dans l’est de la République démocratique du Congo… Ce sombre tableau décourage les investisseurs, accroît les risques de crise alimentaire et nourrit les vulnérabilités.
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Or, la Banque mondiale rappelle que le combat contre la pauvreté semble compromis tant le taux d’expansion économique demeure « lent et insuffisant ». En matière de croissance, les fortunes sont diverses d’un bout à l’autre du continent. Certains pays affichent des perspectives robustes, comme la Côte d’Ivoire, le Kenya ou le Rwanda. Mais, en moyenne, « la croissance dans la région reste trop faible et instable et ne permet pas une réduction significative de la pauvreté », regrette Andrew Dabalen.
Les turbulences mondiales sont en cause : selon des statistiques préliminaires, le Covid-19, la guerre en Ukraine et les chocs climatiques auraient fait plonger 17 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême précarité en Afrique. Mais le manque de diversification des économies, leur volatilité, leur incapacité à créer des emplois en quantité et en qualité, et le niveau élevé des inégalités structurelles sont des facteurs au moins aussi importants, souligne la Banque mondiale.
« Les revenus par habitant ont déjà stagné au cours des dix dernières années, rappelle M. Dabalen. Faute d’action décisive pour mettre en place un nouveau modèle de croissance plus fort, plus inclusif et plus riche en emplois, l’Afrique subsaharienne risque de connaître une nouvelle décennie perdue. »