En Côte d’Ivoire, la politique s’invite dans la guerre de succession du royaume baoulé

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C’est une vieille rengaine qui, sur fond de guerre de succession royale, fait son retour dans la vie politique en Côte d’Ivoire. En jeu : le trône du royaume baoulé, disputé entre deux rivaux. En scène, les deux principaux partis politiques, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), au pouvoir, et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), dans l’opposition, qui soutiennent chacun un prétendant et s’accusent mutuellement de « tribalisme ». Des invectives qui interviennent à un peu plus d’un an de l’élection présidentielle, prévue fin 2025, dans ce pays où la mobilisation des électeurs repose encore largement sur des ressorts communautaires.

En réalité, le conflit de succession n’est pas nouveau. Dans cette monarchie matrilinéaire, le roi transmet traditionnellement le trône au fils de sa sœur aînée, en général le plus âgé ou le plus méritant. A Sakassou (centre), la capitale du royaume baoulé, la succession se déroulait sans accroc jusqu’au coup d’Etat manqué de 2002 et la crise politico-militaire qui s’ensuivit, lorsque la ville de Bouaké, à 40 km de là, fut conquise par les forces rebelles. Le roi baoulé d’alors, Anoungblé III, trouve refuge à Abidjan, tandis que sa cousine, Christine Akissi Djè, profite de son absence pour revendiquer le trône, qu’elle continuera d’occuper après la mort d’Anoungblé III, la même année.

Avec le retour de la paix en Côte d’Ivoire en 2011, Christine Akissi Djè cède le trône à la sœur d’Anoungblé III, qui se voit confier la régence sous le nom d’Akoua Boni II. Selon la tradition, le trône aurait ensuite dû échoir au fils de cette dernière, Michel Kassi Anvo. Sauf qu’Akoua Boni II décide de conserver le pouvoir. Elle est intronisée en 2017 par la cour royale de Sakassou, tandis que Michel Kassi Anvo est de son côté couronné en 2019 dans le bois sacré de Sakassou par les Djèfoués, les faiseurs de roi traditionnels, qui lui donnent le nom d’Otimi.

L’ethnie d’Henri Konan Bédié

Ce bicéphalisme aurait pu prendre fin avec la mort d’Akoua Boni II, annoncée le 13 mai. Mais c’est Maxime Kouadio, le neveu de la reine précédente, que la cour royale intronise le 17 juin sous le nom de règne de Kouakou Djè II. Au grand dam de Michel Kassi Anvo.

Le royaume baoulé a donc de nouveau deux rois, Kouakou Djè II et Otimi, chacun défendu par des chefs traditionnels de différentes localités. « Les répercussions sont énormes, regrette Kouadio Dan II, le porte-parole principal du roi Otimi. Notre communauté ne peut pas fonctionner normalement et vivre comme tout le monde. »

Mais si l’affaire passionne les Ivoiriens au-delà des frontières du royaume baoulé, c’est aussi parce que l’enjeu politique est considérable. Majoritaires au sein du groupe akan, qui représente 38 % de la population ivoirienne, les Baoulé, ethnie des défunts présidents Félix Houphouët-Boigny (1960-1993) et Henri Konan Bédié (1993-1999), constituent le socle traditionnel de l’électorat PDCI. Les instructions de vote de la royauté et de la notabilité baoulé s’étant souvent avérées cruciales, celles-ci sont inévitablement courtisées par les présidentiables.

En 2010, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara avaient tous deux rendu visite à la reine baoulé et aux chefs coutumiers. Finalement, ceux-ci s’étaient rangés au second tour derrière M. Ouattara, alors allié à M. Bédié. Cinq ans plus tard, la chambre du royaume baoulé, réunie en conclave, avait répondu à l’appel de Daoukro lancé par l’ex-président Bédié, et de nouveau apporté son soutien à M. Ouattara.

Mais en 2020, M. Bédié, opposé à un troisième mandat du président sortant, avait appelé au boycott de l’élection et été assigné à résidence. Une première scission politique était alors apparue dans le royaume : la reine Akoua Boni II avait préféré ne pas donner d’instruction de vote, tandis que Michel Kassi Anvo avait apporté son soutien à M. Bédié.

Accusations de « tribalisme »

A quinze mois de la prochaine élection présidentielle, les deux partis s’accusent mutuellement de vouloir placer un monarque sans pouvoir sur le tabouret royal afin de s’assurer les faveurs de l’électorat du centre du pays.

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Les partisans d’Otimi estiment que le gouvernement était à la manœuvre derrière les ambitions d’Akoua Boni II, qui s’était plusieurs fois entretenue avec le chef de l’Etat, et la désignation de Kouakou Djè II, tous deux présentés successivement comme souverains légitimes par les journaux pro-RHDP. A l’inverse, les cadres du parti au pouvoir reprochent au PDCI son soutien supposé à Michel Kassi Anvo et, plus généralement, son immixtion dans les affaires des Baoulé.

En conférence de presse, mercredi 17 juillet, le ministre de la promotion de la jeunesse, Mamadou Touré, a ainsi qualifié « le PDCI actuel » de « parti tribaliste ». La réponse est intervenue deux jours plus tard par la voix du porte-parole du PDCI, Soumaïla Bredoumy, qui a accusé le RHDP d’avoir « érigé le rattrapage ethnique en instrument de gestion de notre administration et de la chose publique » depuis son accession au pouvoir. En clair, d’avoir favorisé l’accession de personnalités originaires du nord du pays aux postes stratégiques.

En dépit des discours de toute la classe politique depuis la fin de la crise politico-militaire, en 2011 – M. Ouattara promettant notamment « une véritable rupture » avec les pratiques des années précédentes –, les grands partis présents sur l’échiquier politique ivoirien semblent avoir des difficultés à rompre avec l’idée d’une clientèle électorale.

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