en dépit des anticipations, le pays à nouveau sous les eaux

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La scène, photographiée le matin du 27 août dans ce qu’il reste du village de Chotbora, dans l’Etat du Jonglei, au nord du Soudan du Sud, puis partagée sur les réseaux sociaux, résume en image la détresse des sinistrés. Enveloppée dans une couverture, une grand-mère est prostrée sur un radeau de fortune, entourée de dizaines de femmes et d’enfants démunis.

Sous la pression de la rivière Zeraf, un affluent du Nil, la digue a rompu pendant la nuit, recouvrant leur village de plus d’un mètre d’eau. Plus de 6 000 personnes ont dû évacuer les lieux. En canoë pour les plus chanceux, en flottant sur des amas de végétaux pour les autres, ils ont dérivé en direction de la ville d’Old Fangak, protégée par des digues, mais elle aussi menacée par les eaux.

Pour la sixième année consécutive, le Soudan du Sud fait face à des inondations dévastatrices, provoquées par le débordement des cours d’eau et de fortes pluies. Selon l’ONU, 735 000 personnes sont affectées dans 38 des 78 comtés du pays et 65 000 sont déjà déplacées. Alors que le pic des crues est attendu en octobre, autorités locales, habitants et acteurs humanitaires tentent de faire leur possible pour éviter le pire.

Le Fonds central d’intervention d’urgence des Nations unies (CERF) a alloué 10 millions de dollars et 5 millions de dollars additionnels ont été débloqués par le Fonds humanitaire pour le Soudan du Sud (SSHF), afin de « fournir une assistance vitale – abris, eau, assainissement, hygiène et services de santé – aux communautés déjà sous le choc des impacts aggravés des inondations récurrentes, de la grave insécurité alimentaire, des déplacements massifs et du conflit en cours au Soudan voisin », rapporte le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA).

Le niveau record des eaux du lac Victoria

Pays « le plus vulnérable au changement climatique » et qui « manque le plus de capacités d’adaptation » selon un rapport de la Banque mondiale de 2023, le Soudan du Sud, traversé par de nombreux cours d’eau, se classe « au septième rang mondial en termes de part de la population totale du pays exposée aux crues fluviales ». Ce sont notamment les deux millions d’habitants du Sud, la plus grande zone humide d’Afrique qui se déploie dans la plaine inondable du Nil, qui font les frais des dérèglements du climat.

La région pourrait devenir inhabitable et le Soudan du Sud être « le premier exemple d’une population de masse déplacée de façon permanente par le changement climatique » comme le suggèrent certains experts. Entre 2020 et 2022, quelque 1,5 million de Sud-Soudanais ont été déplacés par les inondations. Et dès fin 2023, les prédictions pour les inondations en 2024 étaient alarmantes. Le niveau record du lac Victoria, ainsi que des prévisions de précipitations exceptionnelles, causées par le phénomène El Nino et le dipôle de l’océan indien ont créé les conditions propices à une nouvelle saison des pluies dévastatrice.

Le 16 mai, le ministre des ressources hydriques et de l’irrigation, Pal Mai Deng, a tiré la sonnette d’alarme : le niveau des eaux du lac Victoria a augmenté à 13,6 mètres, un record depuis 128 ans. « En raison de ce niveau d’eau élevé, les quantités d’eau qui arrivent dans le barrage de Jinja en Ouganda sont énormes, prévenait-il alors. La rétention du barrage est dépassée et le gouvernement ougandais est obligé de libérer une quantité d’eau massive, de 2 600 mètres3 par seconde en aval, vers le Soudan du Sud ». Selon les prévisions, jusqu’à 3,3 millions de personnes pourraient être affectées par les inondations d’ici à la fin de l’année.

Pour une ONG comme Médecins sans frontières (MSF), qui compte quatorze projets au Soudan du Sud, dont certains au cœur du Sudd, la prévision de l’ampleur des inondations est capitale. Car « s’il y a un consensus au niveau national, c’est au niveau local que les choses se compliquent », explique Quentin Blanchet, responsable du plaidoyer de l’ONG. C’est notamment à Old Fangak, cette ville du Jonglei devenue une île en 2020, où MSF tient un hôpital, que l’organisation a mobilisé les experts de sa cellule changement climatique et a pu donner l’alerte assez tôt pour éviter le pire.

Une catastrophe prévisible

Une spécialiste en systèmes d’information géographique (GIS) a été dépêchée sur place dès le mois de mai, des jauges ont été installées tout autour de la ville « pour évaluer la menace de la montée des eaux et l’état des digues ». « Certains jours, en juillet, l’eau montait de 5 cm quotidiennement, c’était une course contre la montre », relate l’humanitaire. Grâce aux données recueillies et aux modélisations cartographiques réalisées, une intervention d’urgence a été déclenchée le 21 août par l’ONU depuis Bor, la capitale régionale.

Des tonnes de matériel ont été acheminées pour soutenir les efforts des quelque 2 000 jeunes d’Old Fangak, mobilisés pour renforcer la digue à mains nues. « Sans le GIS et l’unité changement climatique, nous n’aurions pas pu sonner l’alarme de manière aussi efficace et la ville aurait sans doute été engloutie », se félicite aujourd’hui Quentin Blanchet.

La lutte va cependant durer des semaines. Plus au sud, la « digue rurale » de 93 km qui protège les zones au nord de Bor, le long du Nil, « a rompu ces dernières semaines en plusieurs endroits », explique Mading Akueth, directeur des affaires humanitaires du gouvernement local. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a envoyé quatre pelleteuses en urgence pour renforcer cette digue, ainsi que des sacs de sable, et va soutenir quelque 800 jeunes pour aider aux travaux. « Mais cela n’est pas suffisant, le courant est très fort, l’eau continue de pénétrer dans les terres », précise-t-il. Le PAM souligne pour sa part « les défis logistiques » posés pour l’acheminement de « machines lourdes », les routes étant devenues largement impraticables dans le Jonglei.

Face à une catastrophe prévisible, certains acteurs humanitaires tentent d’anticiper l’urgence. L’ONG allemande Welthungerlife conduit ainsi des distributions humanitaires pour les populations situées dans des zones à risques, notamment dans le comté de Panyijiar, dans l’Etat d’Unité. Pas encore touchées, elles le seront « probablement », et cette « nouvelle approche » a pour but de « faire baisser les besoins et le nombre de victimes une fois que le désastre frappe », explique Sofia Minetto, chargée de communication de l’ONG au Soudan du Sud. « Moins de 10 % des financements humanitaires sont dédiés à la préparation et à l’anticipation », déplore-t-elle.

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Face à cette montée des eaux qui devrait se poursuivre dans les semaines à venir, d’autres facteurs que le climat entrent en jeu : les nouvelles routes construites à grands frais par le gouvernement sud-soudanais, comme la Juba-Rumbek Highway, semblent bien mal pensées. Dans le comté de Rumbek East, la ville d’Aduel a été complètement submergée le 4 septembre, après que la rivière Naam est sortie de son lit.

« Cette année, les inondations sont importantes, mais l’eau a été bloquée par la nouvelle route, qui n’a pas de ponceaux » pour franchir les voies et les cours d’eau, confie le commissaire du comté, Mangar Machuol. Des tractopelles ont été acheminées en urgence pour créer un système de drainage et permettre à l’eau de s’évacuer. Seulement, regrette l’officiel, « la plupart des habitations ont été détruites et les habitants ont fui ».

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