Israël, comme de nombreuses autres démocraties, est une société profondément polarisée. Le débat public semble s’articuler autour du principe « Es-tu des nôtres ou de nos ennemis ? » (Josué 5:13).
Dans les débats sur l’interminable conflit israélo-arabe et l’occupation des territoires, sur les rapports entre la religion et l’Etat résultant de l’autodéfinition d’Israël comme pays juif et démocratique, on devinait facilement de quel côté des barricades verbales, politiques et parfois même physiques chacun se situerait.
Il est intéressant d’observer que, dans les réactions au nouveau plan gouvernemental de M. Nétanyahou pour réformer le système judiciaire, non seulement le nombre de manifestants a atteint une ampleur sans précédent, mais on trouve, tant en Israël que dans les communautés juives du monde entier, des personnalités éminentes et de nombreux individus – y compris des sionistes de conviction de centre droit – que l’on ne s’attendait jamais à voir du côté antigouvernemental. Même l’ancien président, Reuven Rivlin, membre du Likoud depuis toujours, ainsi que de nombreux autres membres de la vieille garde de Menahem Begin [premier ministre de 1977 à 1983] ont exprimé publiquement leurs profondes inquiétudes. Dans l’arène internationale aussi, des Etats « amis » témoignant leur soutien de longue date à l’Etat d’Israël changent de camp.
Cela n’est pas sans rappeler l’insurrection du 6 janvier 2021 à Washington, qui a été perçue comme une attaque contre les valeurs et les institutions fondamentales de la démocratie américaine. Ce sentiment, partagé par de fervents défenseurs de l’Etat d’Israël « pour le meilleur et pour le pire », est présent dans les objections à la réforme proposée.
Syndrome de Frankenstein
Pour mesurer l’ampleur des réactions, la présidente de la Cour suprême, dans une démarche inhabituelle, a prononcé un discours, dans un forum professionnel, le 12 janvier, diffusé en direct sur les médias israéliens. Elle a dit notamment que ce que l’on fait passer pour de simples « réformes » est, à la fois dans l’intention et dans les faits, un plan visant à briser certaines des bases les plus fondamentales de la séparation des pouvoirs et de l’Etat de droit, sans lesquelles aucun Etat ne peut légitimement prétendre être démocratique.
Les quatre principales réformes suggérées – et d’autres sont annoncées – peuvent sembler assez innocentes : faire de toutes les nominations judiciaires une compétence de l’exécutif et du Parlement (n’est-ce pas le cas aux Etats-Unis et ailleurs ?) ; exiger une super-majorité des juges pour invalider une loi parlementaire (ce qui n’est pas, à première vue, une proposition déraisonnable) ; permettre également au Parlement d’annuler par majorité simple les décisions constitutionnelles des juges (le Canada ou la Finlande n’ont-ils pas des dispositions similaires ?) ; enfin, interdire au pouvoir judiciaire le recours au critère du « caractère déraisonnable » ou même « extrêmement déraisonnable » lorsqu’il examine les agissements des ministres et des fonctionnaires, n’est-ce pas là une simple question technique, du grain à moudre pour les professeurs de droit ?
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