Le décès vendredi 19 avril dans des conditions mystérieuses d’un intellectuel affilié à un cercle de réflexion de Tripoli, Siraj Daghman, détenu au secret depuis plus de six mois dans la région de Benghazi (est), renforce les craintes des organisations des droits humains à propos de l’escalade répressive frappant la société civile en Libye.
Agé de 35 ans, M. Daghman, directeur de la branche de Benghazi du Libya Center for Strategic and Future Studies (LCSFS) serait mort d’une « chute fatale » après avoir tenté de s’échapper par la fenêtre des toilettes de l’appartement où il était prisonnier, selon la version diffusée par les services de sécurité liés à l’Armée nationale libyenne (ANL) commandée par le maréchal Khalifa Haftar.
L’explication n’a toutefois pas complètement convaincu la Mission des Nations unies pour la Libye qui, exprimant sa « tristesse » à l’annonce de la mort de Siraj Daghman, a demandé dimanche 21 avril une « enquête transparente et indépendante » sur les circonstances de ce décès. L’ambassade américaine à Tripoli a aussitôt appuyé cette requête, ajoutant qu’elle réclamait « instamment » la « libération rapide de toutes les personnes arbitrairement détenues ».
« Nous demandons la vérité, il faut une enquête sincère », a abondé Oussama Assed, le directeur du LCSFS, un cercle de réflexion impliqué dans la médiation locale et la production d’analyses sur les enjeux politiques et sécuritaires en Libye.
Dans le viseur des autorités de l’est du pays
Siraj Daghman, journaliste et écrivain, avait été arrêté le 1er octobre 2023 à Benghazi, six mois après avoir supervisé l’ouverture de la branche du LCSFS dans cette métropole de la Libye orientale. Les services de sécurité du maréchal Haftar, « homme fort » de la Cyrénaïque sur laquelle il exerce une férule brutale, l’avaient placé en détention en compagnie de quatre militants du parti modéré Libya For All (Libye pour tous) – Fathi Al-Baajah, Tariq Al-Bishari, Nasser Al-Daasi et Salem Bais – à l’issue d’une réunion sur les conséquences de la tempête Daniel ayant dévasté le 11 septembre 2023 la ville de Derna, à 300 kilomètres à l’est de Benghazi.
Lors de cette rencontre, les cinq hommes avaient critiqué la mauvaise gouvernance des autorités locales ayant conduit au désastre (5 898 morts et plus de 8 000 disparus, selon le bilan officiel, sûrement sous-estimé) et appelé de leurs vœux le renouvellement de la classe politique, une aspiration alors très partagée au sein d’une population en état de choc.
Il n’en fallait pas plus pour que le maréchal Haftar, informé par une « taupe » ayant assisté à la réunion, y voit le signe d’un complot politique visant à « renverser » l’autorité de son Armée nationale libyenne (ANL). Après leur arrestation, les cinq hommes avaient été transférés à Rajma à l’est de Benghazi, là même où Haftar a établi son commandement.
Pratiques autoritaires et répressives
Les activités de Siraj Daghman étaient, en fait, déjà dans le viseur de l’ANL. Depuis son ouverture en mai 2023, la branche de Benghazi du LCSFS était devenue un carrefour d’échanges. M. Daghman avait notamment accueilli l’ambassadrice britannique de l’époque – Caroline Hurndall – de passage en Cyrénaïque et l’avait aidée à monter des réunions avec des figures de la société civile locale.
M. Daghman avait également suscité des rencontres entre partis politiques locaux, dont l’une, en juillet 2023, avait donné lieu à des propos hostiles à « la dictature théologique ou militaire ». Afin de préserver sa liberté d’action, M. Daghman avait refusé tout financement susceptible de le neutraliser, aggravant ainsi son cas auprès du système de pouvoir mis en place en Cyrénaïque par le maréchal Haftar.
La mort suspecte de M. Daghman et le maintien en détention à Rajma des quatre militants de Libya For All dans des conditions opaques illustrent une tendance générale à l’érosion des libertés publiques et au muselage de la société civile en Libye.
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Alors qu’une stabilité relative prévaut dans le pays depuis le cessez-le-feu d’octobre 2020, les autorités parallèles de l’Est comme de l’Ouest renouent avec des pratiques autoritaires et répressives datant de l’ancien régime de Mouammar Kadhafi, renversé en 2011. « Les violations des droits de l’homme par les milices et les groupes armés deviennent envahissantes », déplorait Human Rights Watch dans son dernier rapport annuel sur la Libye.