
« Fatshi [Félix Thisekedi], sache que ton mandat prend fin ! » Ce slogan a été scandé à plusieurs reprises au stade des Martyrs, le 2 février à Kinshasa, par les jeunes catholiques réunis pour suivre un enseignement du pape François. Le souverain pontife avait commencé son 40e voyage apostolique le 31 janvier en République démocratique du Congo (RDC), où il a multiplié les messages de paix et de pardon tout en dénonçant les violences et « le colonialisme économique » que subit le pays.
Cet air avait déjà été entonné par le passé contre l’ex-président Joseph Kabila, qui tentait alors de briguer un troisième mandat en violation de la Constitution. Cette fois, il exprimait la déception d’une partie de la population qui n’a pas vu se réaliser les nombreuses promesses d’une vie meilleure faites pendant la campagne électorale de Félix Tshisekedi et après son élection, en 2018. Il a surtout déclenché plusieurs polémiques entre l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti au pouvoir, et l’Eglise catholique, acteur politique et social majeur du pays, alors que le prochain scrutin présidentiel doit avoir lieu le 20 décembre dans un pays où les élections sont régulièrement contestées.
A dix mois de la fin du premier quinquennat de Félix Tshisekedi, le quotidien des Congolais ne s’est guère amélioré : la dépréciation du franc congolais face au dollar américain se poursuit ; la gratuité de l’enseignement primaire, mesure très attendue, avance difficilement ; les mouvements de grève parmi les enseignants et les médecins ont continué ; la situation sécuritaire s’est détériorée dans l’est et un conflit entre les communautés teke et yaka a secoué l’ouest du pays à l’automne dernier ; enfin, plusieurs membres du gouvernement ont été éclaboussés par des scandales de corruption.
Les propos « politiques » du cardinal
Dans ce contexte, les images d’une foule de plus de 80 000 personnes, dont certaines entonnant un chant hostile au maintien du président, ont fortement déplu à l’UDPS. Certains de ses membres y ont vu une machination des responsables catholiques pour déstabiliser le pouvoir du chef de l’Etat. « Ils avaient dit qu’il s’agissait d’une communication entre le Saint-Père et la jeunesse catholique. Au lieu de relayer le message “Tous réconciliés en Jésus-Christ” [thème du voyage du pape], ils se sont fait le porte-parole de ceux [des opposants] qui n’ont plus aucun avenir politique », a déclaré le soir même Augustin Kabuya, secrétaire général du parti, devant quelques partisans.
Cette critique s’ajoute au reproche fait au cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa, après son discours prononcé à l’aéroport de Ndolo, le 1er février. Il avait alors déclaré que « la période électorale est souvent une source de tensions sociales et politiques » et exprimé l’espoir de « voir se tenir des élections libres, transparentes, inclusives et apaisées ». Des propos que le vice-président de la jeunesse professionnelle de l’UDPS, Luc Kabunangu, a qualifiés de « politiques » lors d’un entretien à un média local. Au même moment, une vidéo montrait des partisans de l’UDPS en train de chanter : « Ambongo a fait des enfants qu’il a abandonnés au Rwanda. Félix, c’est le chef. »
Une attaque à laquelle Mgr Donatien Nshole, secrétaire général et porte-parole de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), a répondu lors d’un point presse, le 5 février : « Le cardinal est un pasteur aimé de milliers de fidèles dans ce pays. En l’insultant, vous offensez tout ce monde qui l’aime. Et politiquement, ce n’est pas rentable. » L’ecclésiastique a souligné qu’il n’y avait aucun problème entre l’Eglise et le chef de l’Etat, et encore moins entre ce dernier et le cardinal Ambongo.
Des tensions qui remontent à 2018
Pour Trésor Kibangula, analyste à l’Institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence (Ebuteli), ces polémiques font partie du jeu politique congolais : « On est face à deux camps avec des intérêts divergents. D’un côté l’UDPS, qui veut conserver le pouvoir et défend son champion, et de l’autre l’Eglise catholique, qui voudrait que ce processus de conservation du pouvoir passe par des élections libres et transparentes. » Pour lui, « la visite du pape a servi à beaucoup de parties prenantes », chacun trouvant dans la venue et les propos de François de quoi conforter ses positions. Cette visite a aussi rappelé au pouvoir de Kinshasa l’importance et l’influence de l’Eglise catholique, qui se sent, elle, ragaillardie par sa capacité de mobilisation.
Depuis le début du processus électoral, les catholiques, à l’instar des protestants, d’une partie de la société civile et de l’opposition, peinent à se faire entendre. Le pouvoir a procédé à de nombreux passages en force, notamment sur le choix de Denis Kadima à la tête de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). « Nous, l’Eglise catholique et l’Eglise protestante, qui constituons 90 % de la population de la République démocratique du Congo, nous avons dit au président Félix Tshisekedi que ce n’était pas un bon choix », déclarait en octobre 2021 l’archevêque de Kinshasa. Un rejet justifié par « le constat de la dépendance du candidat-président [de la CENI] au pouvoir en place », selon Mgr Nshole.
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Les tensions entre l’UDPS et l’Eglise remontent à 2018. Celle-ci prétendait détenir d’autres résultats que ceux qui désignaient Félix Tshisekedi vainqueur de la présidentielle face à Martin Fayulu. « Après plusieurs semaines de protestations, l’Eglise catholique avait décidé de passer l’éponge, car elle voulait aussi profiter de l’alternance pacifique au sommet de l’Etat et s’engager pour plus de transparence lors du prochain processus électoral », rappelle Trésor Kibangula. Pour ce dernier, engager un bras de fer contre l’Eglise n’est pas une bonne idée. « L’histoire politique récente de la RDC a montré qu’il vaut toujours mieux avoir l’Eglise dans son camp et je pense que l’UDPS en est consciente », souligne l’analyste.