Pour une raison inconnue, sans doute liée aux lois complexes de la sismologie, les tremblements de terre qui ont ravagé la Turquie et le nord-ouest de la Syrie aux premières heures du 6 février ont presque épargné Marea. Situé à 30 kilomètres au nord d’Alep et à une centaine de kilomètres de l’épicentre, dans une zone qui peine encore à dresser le bilan de ses morts et de ses blessés, le village a tremblé, les minarets se sont effondrés et quelques murs sont tombés, tuant une femme handicapée de 35 ans.
Passé le danger immédiat, les habitants ont cherché à obtenir des nouvelles de leurs proches, nombreux à avoir fui depuis 2011 ce bastion de l’opposition au régime de Damas, devenant au fil de leurs pérégrinations des déplacés dans la province d’Idlib ou des réfugiés de l’autre côté de la frontière, en Turquie – des régions où le nombre de victimes dépasse désormais deux dizaines de milliers. Les villageois ont ensuite porté secours à leurs voisins de Saouran qui, lui, n’a pas résisté à la secousse : dans ce minuscule hameau, à la lumière de simples téléphones portables, à mains nues ou à l’aide d’outils rudimentaires, trente-deux corps ont été extraits des décombres.
Dans ce déchaînement de mauvaises nouvelles, personne à Marea ne s’attendait aux événements de la nuit suivante. « Des tirs d’artillerie ont retenti peu après minuit, raconte Hussein Al-Khatib, 27 ans, joint par téléphone à Marea et qui se définit comme journaliste citoyen. Les obus se sont écrasés à l’orée du village sans faire de victimes. Vingt-quatre heures après le séisme, les gens s’attendaient à une réplique, mais pas à ça ! »
Marea, berceau de l’Armée syrienne libre, la rébellion qui s’était emparée des quartiers orientaux d’Alep de 2012 à 2016, est aujourd’hui contrôlé par des milices proturques de l’Armée nationale syrienne. Ici, la guerre contre les forces d’Assad n’a jamais cessé. Selon Hussein, malgré ces années de guerre civile, l’ampleur du désastre entraîné par les séismes de la veille laissait espérer une sorte de trêve, même informelle, pour d’évidentes raisons humanitaires : « Personne n’a compris quel était l’objectif de ces frappes. On n’a même pas réussi à savoir si elles provenaient d’une position du régime, ou d’une autre, tenue par les Kurdes. » Pour les villageois, dit-il, c’était juste « du désespoir s’ajoutant au désespoir ».
Partout dans la partie du Nord-Ouest syrien gravement touchée par les séismes, les multiples fractures politiques sur le terrain ont pour effet de compliquer les sauvetages et d’entraver l’acheminement d’une aide vitale – quand elles ne les bloquent pas complètement. Dans chaque zone, qu’elle soit considérée comme loyale au président Bachar Al-Assad (Lattaquié et l’arrière-pays), contrôlée par le régime (la grande majorité de la province d’Alep) ou par l’opposition, dominée par le gouvernement intérimaire syrien soutenu par la Turquie (au nord d’Alep) ou par les islamistes de Hayat Tahrir Al-Cham (Idlib), les populations syriennes se retrouvent aujourd’hui dans une impasse humanitaire. Dans un enfer dantesque, verrouillé par des enjeux et calculs politiques déconnectés de la réalité.
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