En Tunisie, le président Kaïs Saïed donné vainqueur d’une élection jouée d’avance

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Aucun suspense n’entourait le scrutin présidentiel qui s’est tenu dimanche 6 octobre en Tunisie. Dans cette partition bien réglée, la télévision nationale a diffusé en début de soirée un sondage de sortie des urnes annonçant la réélection du président sortant, Kaïs Saïed, avec 89,2 % des voix. Les deux seuls candidats retenus contre lui par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), l’ancien député et leader du parti panarabe Mouvement du peuple Zouhair Maghzaoui, ex-soutien de M. Saïed, et le chef d’un petit parti libéral, Ayachi Zammel, arrêté début septembre et condamné, le 1er octobre, à douze ans de prison pour « falsification de parrainages », n’auraient obtenu respectivement que 6,9 % et 3,9 %, selon les chiffres de l’institut Sigma.

Alors que les résultats provisoires doivent être annoncés par l’ISIE d’ici mercredi 9 octobre et les résultats définitifs au plus tard le 9 novembre, le plébiscite annoncé de M. Saïed a aussitôt été rejeté par Ayachi Zammel. Sur sa page Facebook, l’opposant emprisonné a dénoncé la publication de sondages « en violation des textes de la loi, afin d’orienter l’opinion publique ». Zouhair Maghzaoui a lui appelé « les forces sécuritaires à protéger le processus » électoral après de premiers scores « erronés ».

Le taux de participation final, donnée attendue par les observateurs, s’élevait à 27,7 % – soit 2,7 millions d’électeurs – a indiqué l’ISIE lors d’une conférence de presse. Un score nettement supérieur aux derniers scrutins – 11,3 % lors du second tour des législatives de 2022 – mais bien en deçà du premier tour de la présidentielle de 2019 où 49 % des électeurs s’étaient rendus aux urnes.

« On s’est rendu compte qu’il devenait un autocrate »

La journée électorale s’est déroulée dans le calme. A la mi-journée, dans plusieurs bureaux de vote du centre-ville de Tunis, les électeurs, majoritairement âgés, se relayaient pour déposer leur bulletin. Les partisans du président sortant étaient les plus nombreux à exprimer ouvertement leur choix. « Il essaye de changer les choses pour les citoyens. Au moins avec lui, nous avons de l’espoir que les problèmes qui se sont produits dans le pays depuis la révolution [de 2011] trouvent une solution », considère Chourouk Abdallah, 30 ans, éducatrice spécialisée et supportrice affirmée du chef de l’Etat, venue effectuer son « devoir national ».

Les opposants se montraient en revanche plus discrets. A La Marsa, en banlieue de la capitale, Seif, un nom d’emprunt, 27 ans, étudiant de master, explique être venu « exercer [son] droit de vote » pour « ne pas laisser Kaïs Saïed décider pour nous ». En 2019, il avait pourtant soutenu ce professeur de droit constitutionnel, sans attache partisane qui lui paraissait être « l’alternative à Ennahda », le parti islamo-conservateur qui a participé à tous les gouvernements de coalition depuis 2011, et « aux corrompus ». M. Saïed avait alors été élu au second tour avec 73 % des voix. Mais depuis que le président s’est arrogé les pleins pouvoirs en juillet 2021, « on s’est rendu compte qu’il devenait un autocrate ».

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés En Tunisie, la lente descente aux enfers d’Ennahda

Seif est l’un des rares jeunes rencontrés à s’être déplacé aux urnes. Sur les 2,7 millions de suffrages comptabilisés, seulement 6 % provenaient des moins de 35 ans, selon l’ISIE. Nombre de ses amis, eux aussi opposés au président sortant, ont décidé de s’abstenir, considérant le processus électoral « illégitime ». Depuis l’annonce de la date du scrutin, le 2 juillet, de nombreuses polémiques ont éclaté. Alors que le tribunal administratif avait tranché en faveur de la réintégration de trois candidats exclus au préalable par l’ISIE, l’instance électorale a ignoré la justice. Malgré les critiques de l’opposition et des organisations de la société civile, le Parlement a amendé, le 27 septembre, la loi électorale, retirant au tribunal administratif la compétence de trancher les contentieux électoraux et faisant de la cour d’appel de Tunis la seule compétente pour régler ces litiges.

Pas d’observateurs de l’Union européenne

Depuis son « coup de force » en juillet 2021, Kaïs Saïed a démantelé progressivement certaines des structures démocratiques de l’Etat mises en place après la révolution de janvier 2011. Il a notamment modifié la structure du Conseil supérieur de la magistrature qui chapote le pouvoir judiciaire mais aussi celle de l’instance électorale, dont il nomme directement certains membres. Cette dernière a refusé l’accréditation de deux des principales associations locales d’observation des élections, I Watch et Mourakiboun, en raison d’accusations de « financements étrangers suspects (…) en provenance de pays avec lesquels la Tunisie n’entretient pas de relations diplomatiques ».

Pour la première fois depuis 2011, les observateurs de l’Union européenne n’ont pas été admis à suivre le déroulé du vote. Dans certains bureaux, seuls des représentants de la commission électorale russe, de l’Organisation de coopération islamique et de quelques autres organisations accréditées par les autorités étaient présents. L’Association tunisienne pour l’intégrité et la démocratie des élections, l’une d’elles, a déclaré dimanche soir, selon l’agence de presse officielle tunisienne TAP, « avoir enregistré un certain nombre d’irrégularités et de malversations de divers degrés », notamment « des orientations vers les électeurs ou des tentatives de citoyens pour les influencer ».

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