La statue de la Mère-Patrie, inaugurée par Leonid Brejnev en 1981, continue de surplomber le sud de Kiev du haut de ses 102 mètres, glaive dans une main et bouclier dans l’autre. Le musée en plein air qu’elle domine, baptisé « Musée de la Grande Guerre patriotique » pendant l’ère soviétique, s’appelle désormais « Musée national de l’histoire de l’Ukraine durant la seconde guerre mondiale », avec des ressources essentiellement en ligne.
Un drapeau géant aux couleurs bleu et jaune de l’Ukraine indépendante flotte aujourd’hui sur le parc de la Gloire éternelle, où deux nouvelles expositions ont été établies depuis le début, il y a près d’un an, de l’invasion russe. Car la volonté de documenter la tragédie en cours, palpable dans tout le pays, ne participe pas seulement d’une exigence de justice, afin que les crimes de guerre ne demeurent pas impunis.
Elle vise aussi à préserver la mémoire des mille et un gestes de résistance collective et individuelle qui ont permis à l’Ukraine de ne pas être écrasée par son si puissant voisin.
La « crucifixion de l’Ukraine »
L’équipe du Musée national de l’histoire de l’Ukraine durant la seconde guerre mondiale travaille, dans l’urgence de février 2022, à placer en lieu sûr les 400 000 pièces de ses collections. Mais, très vite, malgré l’enrôlement de certains employés dans les forces armées et l’exil de nombreux autres, le musée s’emploie à recueillir les traces du conflit en cours et à élaborer des expositions itinérantes, vouées à défendre la cause ukrainienne à l’étranger.
Une nouvelle étape est franchie, le 8 mai 2022, avec l’ouverture sur trois étages de la « Crucifixion de l’Ukraine », qui se substitue au précédent Musée du conflit local. Le choix de la date est évidemment symbolique, en ce jour où le président Zelensky invoque en noir et blanc le « Plus jamais ça » du 8 mai 1945. Quant à Vladimir Poutine, il célèbre le lendemain en grande pompe le « Jour de la victoire » de la tradition soviétique.
Le visiteur est accueilli par une étoile rouge géante, dont l’espace est rempli de chaussures abandonnées par des soldats russes. L’effet est assez saisissant et se retrouve face à ces installations de roquettes encastrées dans un banc, d’obus de mortier composant une croix, d’empilements de bazookas, mais aussi de domiciles dévastés, de musées fracassés et d’églises incendiées. Les légendes sont d’une implacable précision, ici une icône carbonisée de Makariv, là un dôme ravagé de l’église de Loukianivka. L’accablement laisse pourtant la place à l’effroi lorsque l’on découvre les dotations d’un soldat d’une unité russe impliquée dans les atrocités de Boutcha, où des centaines de civils ont été massacrés en mars 2022. Même si le commentaire reste sobre, il est alors difficile de détacher son regard du coutelas ainsi exposé, à côté d’un uniforme et de documents militaires.
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