Est-il cruel d’envoyer son enfant dans sa chambre ?

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Quand j’étais en CE1, la maîtresse avait inventé une punition singulière : plutôt que d’envoyer les enfants dissipés au coin, elle leur ordonnait d’aller « à la niche », c’est-à-dire sous son bureau, véritablement entre ses jambes. Nous avions tout le loisir d’observer ces camarades relégués dans les jupes de la maîtresse – très majoritairement des garçons –, puisque le bureau était sur l’estrade, à hauteur de nos yeux d’enfants. Ils passaient là une partie de la matinée, poursuivant discrètement leur entreprise de sape par le biais de grimaces et autres clowneries depuis la « niche ». Si le but de la manœuvre était la désexcitation, c’était raté. Parfois aussi, quand la bêtise était jugée grave, l’enseignante recourait à la fessée déculottée devant la classe. (Je précise qu’il s’agissait d’une école publique, il y a trente-cinq ans.)

Aujourd’hui, il me paraît inouï qu’aucun parent d’élève ne se soit plaint à l’époque de ce qui s’apparentait manifestement à des humiliations, et qui serait désormais puni par la loi (la fessée est interdite depuis 2019). Peut-être d’ailleurs y a-t-il eu des plaintes dont je n’ai pas été informée. Cela témoigne, en tout cas, de l’extraordinaire évolution du rapport à l’intégrité physique des enfants, mais aussi à la punition.

Je sais que l’instituteur de ma fille, elle-même en CE1, exclut de sa salle de classe ceux qui sont trop turbulents. Ils restent devant la porte le temps qu’ils aient compris que leurs actes gênaient le collectif. A l’inverse de la « niche », il me semble que c’est une interprétation saine et raisonnée du fameux « Au coin ! », l’alpha et l’oméga de générations de profs et de parents.

Une chaise symbolique

Dans les pays anglophones, le coin est une méthode théorisée sous le nom de « time out » – en français, « temps mort ». Les parents trouveront aisément en ligne des guides explicatifs de sa mise en œuvre, étape par étape : avertir l’enfant qu’il va être puni ; le punir s’il ne cesse pas, en le mettant sur une chaise symbolisant le time out pendant un temps donné ; ne pas lui parler pendant cette période ; rallonger cette période s’il descend de sa chaise ; mettre fin à la punition ; s’assurer qu’il en a compris l’enjeu. Aux Etats-Unis, où la science du parenting est institutionnalisée depuis des décennies, on va jusqu’à préciser le nombre de minutes d’exclusion en fonction de l’âge. En France, où l’on peut encore espérer, de temps à autre, être parent de manière empirique et approximative, le « coin » est soumis à diverses interprétations de lieu, de dénomination et de durée (« On en profite pour boire un p’tit coup tant qu’on est tranquilles ? Allez ! »).

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