« Il est illusoire que les livraisons annoncées puissent changer la donne du jour au lendemain »

Au milieu du concert de nouvelles qui a permis à Kiev d’annoncer une « coalition de chars de douze pays », la France a fait figure de parent pingre en refusant poliment ses chars Leclerc. C’est pourtant une sage décision. Si les Ukrainiens ont besoin de chars, ils n’ont que faire d’échantillons. Non seulement la livraison de ces quatorze engins aurait accentué la pénurie dans les régiments français, mais son impact tactique aurait été limité et, surtout, elle aurait imposé des contraintes disproportionnées à une armée déjà menacée par l’explosion de ses inventaires de matériel.

Depuis l’aube de l’humanité, toutes les guerres ont rappelé l’intérêt de la standardisation de l’armement – parce qu’un soldat face à une arme qu’il ne connaît pas ne vaut pas mieux qu’une poule découvrant une paire de ciseaux. Or, si le Leclerc paraît désormais exclu du lot, on s’apprête tout de même à livrer aux Ukrainiens quatre types de chars différents : M1 Abrams américains, Challenger 2 britanniques, Leopard 1 et Leopard 2 allemands – le premier des deux, conçu à la fin des années 1950, n’ayant rien de commun avec le second, élaboré vingt ans plus tard.

En fait, les annonces de Washington et de Londres ont plus vocation à peser politiquement que militairement : il s’agissait surtout de forcer la main à Berlin en montrant l’exemple. Le M1 et le Challenger 2 sont difficiles à intégrer pour toute une série de raisons. Le premier est extrêmement gourmand en carburant (de l’ordre de 400 litres/100 kilomètres en tout-terrain, soit un tiers de plus qu’un Leopard 2) – choix douteux pour une armée limitée en moyens logistiques. Le Challenger 2, lui, est armé d’un canon de 120 millimètres rayé, incompatible avec les munitions de l’OTAN prévues pour un canon lisse.

Mécanique complexe

Ajouter ces machines à l’arsenal ukrainien n’a guère de sens – on peut même se demander si elles quitteront jamais leurs pays respectifs. Quant au Leopard 1, s’il est disponible en nombre et reste bien armé, c’est une pièce de musée. Il pourrait rendre service faute de mieux et moyennant de sérieux investissements, sans pour autant se hisser au niveau des autres.

Le bon sens qui devrait prévaloir serait de limiter les livraisons aux seuls Leopard 2. Relativement sobre, il présente un excellent rapport mobilité-protection et son canon est le meilleur au monde (c’est le même que celui du M1). Il a été, en outre, conçu pour la Bundeswehr, armée de conscrits dont la formation doit être écourtée au maximum, et les opérations de maintenance facilitées. Ces qualités ont permis son succès dans l’OTAN, et c’est là que se trouve son intérêt ultime : les armées occidentales en disposent en nombre suffisant pour justifier l’effort que va demander leur intégration dans les forces ukrainiennes.

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