En deux mois, la coalition de partis conservateur, d’extrême droite et religieux au pouvoir en Israël a mobilisé contre elle l’un des plus vastes mouvements de protestation de l’histoire du pays. La réforme de la justice que cette coalition veut faire adopter divise. Dangereusement.
Les hauts fonctionnaires de l’institution judiciaire y voient une tentative de l’affaiblir en bridant les prérogatives de la Cour suprême. Cette dernière concentre des pouvoirs immenses en étant à la fois cour d’appel administrative, civile et pénale et Conseil constitutionnel.
Ses quinze juges incarnent l’unique contre-pouvoir institutionnel dans un petit pays sans élus régionaux, dont le Parlement ne compte qu’une seule chambre et dans laquelle la majorité se confond avec l’exécutif. Ils craignent qu’une majorité simple de la Knesset soit à l’avenir suffisante pour adopter n’importe quelle loi, suivant l’émotion du moment, sans supervision juridique. Un péril potentiel dans un pays qui ne dispose pas de Constitution et qui ne se soumet à aucun texte international protégeant les droits humains.
Les Israéliens qui manifestent redoutent que leur Etat ne s’ancre brutalement dans le camp des démocraties illibérales, telles que la Pologne ou la Hongrie. Le président de la banque centrale et les milieux d’affaires mettent en garde de leur côté contre une instabilité légale qui pourrait inciter les agences de notation à abaisser la note souveraine du pays. Washington comme Paris expriment également leur opposition.
Rapport de force toxique
En procès pour corruption depuis 2021, le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, instaure un rapport de force toxique avec les juges. Il assure avoir été élu en novembre 2022 sur la promesse de mener à bien cette réforme. Mais il a échoué depuis à convaincre les Israéliens de sa nécessité comme de l’urgence à la faire adopter, ainsi que le montrent les enquêtes d’opinion.
M. Nétanyahou et ses partenaires disposent bien de 64 sièges sur 120 à la Knesset. Mais ils ont été élus cet automne avec moins de 50 % des suffrages. Ils ne peuvent donc se prévaloir du large consensus qu’une telle réforme nécessite. Ils doivent écouter l’appel du président, Isaac Herzog, à suspendre cette réforme pour engager un véritable dialogue avec l’opposition, qui serait par ailleurs bien inspirée d’inclure dans le débat la minorité des citoyens palestiniens d’Israël (20 % de la population).
Cette crise couve en fait de plus longue date. La Cour suprême n’a jamais été le bastion irréprochable de défenseurs des minorités, des droits humains et de la démocratie qu’en font aujourd’hui ses défenseurs. Au mépris constant du droit international, ses juges ont laissé l’exécutif favoriser depuis 1967 la colonisation des territoires palestiniens. Ils ont contribué à y enraciner un régime légal dual, qui offre aux colons israéliens la protection d’un cadre juridique proche de celui dont bénéficie tout citoyen de l’Etat hébreu, et qui laisse les Palestiniens à la merci de l’arbitraire militaire.
C’est ce régime que les partisans les plus déterminés de la réforme entendent parachever. Ils veulent entraîner le pays vers l’annexion pure et simple des territoires dans les faits et, à terme, en droit. Pour y parvenir, ils ont fini logiquement par se retourner contre les juges avec le soutien des partis juifs ultraorthodoxes, soucieux de préserver leur communauté de toute ingérence supposée de l’Etat. Cette réforme accentue donc une fuite en avant qui doit être arrêtée.