Jennifer Nansubuga Makumbi ravive la femme

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« La Première Femme » (The First Woman), de Jennifer Nansubuga Makumbi, traduit de l’anglais (Ouganda) par Céline Schwaller, Métailié, 544 p., 23 €, numérique 10 €.

Méfiez-vous des enfants qui inventent des histoires. Un soir, leurs contes pourraient bien déchirer le tissu de non-dits qui habille le récit familial. Ainsi de Kirabo, 12 ans. Dans la maison des grands-parents, elle est la petite dernière. La maigrelette, méprisée par les adolescents car elle fait encore pipi au lit. Lors d’une veillée, Kirabo relate la tragédie d’une femme cachant sa fille à la naissance dans une fourmilière afin de conserver son époux, qui ne souhaite qu’un fils. Silence inquiet dans l’assemblée.

Qu’est venue déranger Kirabo avec sa fable ? D’ailleurs, comment peut-elle savoir de quoi elle parle, si elle ne sait pas d’où elle vient ? Suivant le passage à l’âge adulte de cette héroïne blessée par l’absence de son père et l’abandon de sa mère, le roman répond de mille façons à ces questions. Cinq ans après la révélation de Kintu (Métailié, 2019), fresque historique qui balaie deux siècles et demi de l’histoire de l’Ouganda, Jennifer Nansubuga Makumbi fascine avec ce roman d’apprentissage.

On reconnaît là son habileté à mêler la cosmogonie et l’histoire politique de l’ancienne possession britannique (1894-1962) au thème de la transmission – des traumatismes, mais aussi des dons –, le tout au sein d’une même famille, avec, en arrière-plan, une perspective féministe et la dictature d’Idi Amin Dada (1971-1979). Quand Kintu faisait référence au premier homme habitant la Terre dans la mythologie ougandaise, le deuxième roman de l’écrivaine, née à Kampala en 1967, en explore l’autre moitié, celle de « la première femme », Nnambi.

James Bond Girl

Courant avec la petite Kirabo à travers les champs de manioc et d’aubergines de son grand-père, l’intrigue passe d’une légende à une autre. Chez sa voisine, Nsuuta, la sorcière, l’enfant vient quérir les réponses aux questions inaudibles dans son foyer. Où est sa mère ? Pourquoi lui apprend-on à craindre son sexe ? Surtout, pourquoi a-t-elle l’impression d’héberger en elle une autre fille qui ne demande qu’à s’envoler ? Est-elle une sorcière, elle aussi ?

Prenant pour exemple Nnambi, les sirènes et autres créatures aquatiques ensorceleuses, ou encore une James Bond Girl, Nsuuta lui explique l’« état originel » des femmes : « Nous n’étions pas comprimées à l’intérieur, nous étions immenses, fortes, audacieuses, bruyantes, fières, courageuses, indépendantes. Mais c’était trop pour les gens et ils s’en sont débarrassés. Cependant, il arrive que cet état renaisse chez une fille comme toi. Mais dans tous les cas, il est réprimé. Dans le tien, la première femme s’envole de ton corps parce qu’elle ne correspond pas à la société actuelle. » Ainsi parle Nsuuta à Kirabo, avec sagesse et fantaisie, et sans doute s’adresse-t-elle aussi à l’adolescente qu’elle fut.

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