Il a fallu quatre ans de procès à la Cour pénale internationale (CPI) pour rendre le premier verdict sur l’occupation de Tombouctou par les djihadistes d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et d’Ansar Eddine en 2012 et 2013. La Cour s’était déjà penchée sur la destruction des mausolées de la ville sainte malienne, en condamnant l’un de ses auteurs. Cette fois, les juges se sont plongés dans la vie quotidienne sous l’occupation islamiste.
Mercredi 26 juin, Abdoulaziz Al-Hassan, l’ancien chef de la police islamique de Tombouctou, a été reconnu coupable de plusieurs « crimes contre l’humanité » et « crimes de guerre » pour des persécutions, des tortures, des actes inhumains, des traitements cruels et des atteintes à la dignité de la personne. Derrière ces qualifications juridiques, les faits sont glaçants : Abdoulaziz Al-Hassan est coupable d’avoir ordonné la flagellation en public de treize habitants de Tombouctou et d’avoir procédé à une amputation.
L’ancien vétérinaire, qui a rejoint le groupe Ansar Eddine quelques semaines après le début de l’occupation de Tombouctou par AQMI et Ansar Eddine en mars 2012, a d’abord été l’un des « commissaires de facto » de la police islamique, la Hesbah, puis ensuite son directeur. Abdoulaziz Al-Hassan devait exécuter les sentences prononcées par le tribunal islamique, à l’encontre de tous ceux qui ne respectaient pas les lois des autorités de fait de l’époque.
Avec une scie
« Les règles et interdictions édictées par Ansar Eddine et AQMI couvraient de nombreux aspects de la vie de la population locale », ont retenu les juges. La façon de « communiquer avec Dieu », de se vêtir, de consommer, jusque dans les relations sociales. Selon les témoignages retenus par les juges, Abdoulaziz Al-Hassan flagellait ses victimes ou ordonnait qu’elles soient fouettées. Certaines femmes étaient à l’époque enfermées dans un distributeur à billets, proche du siège de la banque, devenue le quartier général de la police et le bureau d’Abdoulaziz Al-Hassan.
Ce dernier procédait aussi lui-même aux interrogatoires, parfois violents. Le jugement raconte le calvaire d’un jeune couple fouetté « avec une corde habituellement utilisée pour frapper les animaux », selon un témoin qui était présent dans la foule. « Après avoir été battu, P-0557 [le pseudonyme du témoin entendu à la Cour] avait des marques partout sur les épaules, dans le dos et sur les cuisses, et en conserve encore des cicatrices aujourd’hui. P-0565 avait une inflammation et des ecchymoses », précise le jugement.
Les deux victimes ont ensuite été forcées à se marier. Les juges ont aussi retenu les témoignages concernant l’amputation d’un homme, Dédéou Maïga, soupçonné de vol et arrêté par l’accusé. Détenu pendant plusieurs semaines, il avait ensuite été jugé et condamné par le tribunal islamique. Selon la CPI, « des membres d’Ansar Eddine et d’AQMI l’ont emmené sur une grande place et l’ont attaché sur une chaise devant une grande foule. Ils lui ont attaché les chevilles avec des chaînes et lui ont couvert la tête. Ils lui ont ensuite coupé la main droite avec une scie ou une machette ».
Si les faits sont accablants, l’ancien djihadiste a néanmoins été acquitté des chefs d’accusation de viols, d’esclavage sexuel et de mariages forcés. Les magistrats ne contestent pas l’existence de tels actes et le président en a rappelé certains, comme l’histoire d’une femme arrêtée parce qu’elle ne portait pas le voile. « Trois agents de la Hesba l’ont violée à tour de rôle lors de la nuit, sous la menace d’une arme à feu », a lu Antoine Mindua, le juge président.
Mais les juges estiment en substance qu’il s’agissait de crimes de droit commun, et non pas de crimes commis dans le cadre plus large d’une politique établie par les chefs djihadistes et qui en ferait un crime contre l’humanité ou un crime de guerre. La Cour a aussi acquitté M. Al-Hassan pour la destruction des mausolées de la ville sainte.
« Siècles d’érudition islamique »
Le président s’est aussi longuement étendu sur le contexte dans lequel les crimes ont été commis. Tout en dénonçant l’idéologie des djihadistes, les juges n’ont pas évité de donner une lecture moralisatrice des événements, affirmant qu’elle était « loin de traduire des siècles de loi et d’érudition islamiques ». Le juge président congolais a ainsi tenu à souligner que « ce procès n’a concerné ni la charia, ni la religion musulmane en général ».
Assis derrière son équipe d’avocats, encadré par deux gardes, le condamné, vêtu d’un boubou jaune paille et coiffé d’un chèche blanc, n’a manifesté aucune émotion. Il devra encore attendre plusieurs semaines avant de savoir à combien d’années de détention le condamne la Cour.
Depuis l’ouverture de l’enquête début 2013, à la demande du gouvernement malien, la CPI n’avait conduit qu’un seul procès, portant sur la destruction des mausolées – aujourd’hui reconstruits à l’identique par l’Unesco – de la ville sainte. En septembre 2016, Ahmed Al-Mahdi a été condamné à neuf ans de prison – il en a purgé six – après avoir plaidé coupable. L’enquête du procureur se poursuit. La semaine dernière, la Cour a rendu public un mandat d’arrêt émis en 2017 contre l’ancien chef d’Ansar Eddine, Iyad Ag Ghali, pour des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre.