Le 20 juin se tiendra à Paris le Forum mondial pour la souveraineté et l’innovation vaccinales, coorganisé par la France, Gavi-l’Alliance du vaccin et l’Union africaine (UA). Il a pour but d’accélérer la fabrication locale de vaccins dans les pays en développement, alors que l’Afrique importe plus de 98 % de ceux qu’elle consomme.
Ce rendez-vous, qui rassemblera une trentaine de chefs d’Etats et plus de 300 ministres et délégués, « sera l’occasion pour les partenaires extérieurs d’une prise de conscience majeure que, une fois pour toutes, l’Afrique veut prendre son destin en main », estime Jean Kaseya, le patron d’Africa CDC, le Centre de contrôle et de prévention des maladies de l’UA.
Créée en 2017 après la grave crise Ebola qui avait frappé l’Afrique de l’Ouest en 2013-2014, l’agence de santé publique panafricaine s’était imposée durant la crise du Covid-19 comme un outil incontournable pour coordonner une réponse continentale. Mais les ratés du mécanisme d’entraide international Covax avaient révélé l’extrême dépendance du continent aux pays du Nord et à l’Inde pour l’accès aux vaccins.
Elu à la tête de l’institution en avril 2023, le médecin congolais a notamment pour mission de consolider la surveillance épidémiologique, de développer la collecte et l’analyse de données fiables et de construire la capacité du continent à fabriquer ses propres vaccins.
Quel bilan pouvez-vous dresser de cette première année à la tête d’Africa CDC ?
Pour remplir l’ambitieuse feuille de route que nous nous sommes fixée, notre agence, qui est jeune, a d’abord dû renforcer son cadre institutionnel et ses capacités techniques. Nous sommes désormais dans un temps post-pandémie. Les leçons de cette crise ont orienté notre plan stratégique 2023-2027. Beaucoup reste à faire pour que l’institution devienne la référence des Etats comme des Africains eux-mêmes en cas de nouvelle pandémie, mais cette année a été très intense et fructueuse.
Nous sommes donc en plein recrutement pour passer de 300 à 1 000 cadres afin de renforcer les ressources humaines de l’agence et de ses cinq antennes régionales. Nous avons aussi finalisé plusieurs mécanismes financiers pour appuyer les Etats africains dans leurs efforts en santé publique. Enfin, nous avons mis en place des comités de chefs d’Etat pour faire adopter directement les décisions au niveau de l’assemblée générale en court-circuitant les lourdeurs de la bureaucratie de l’UA. Ce mécanisme a permis par exemple de réunir en urgence à Kinshasa, en avril, les ministres de la santé de douze pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale pour contrer l’épidémie de mpox [variole du singe] en cours.
Cette architecture va consolider le travail commun des Etats. Comment cela se traduit-il dans la vie quotidienne des Africains ?
Nous avons recruté 2 millions de relais communautaires sur tout le continent. Ces agents de santé sont le premier maillon de nos systèmes, notamment dans les zones rurales où il n’y a pas d’hôpitaux. Nous avons également mis en place une intensification de la formation des travailleurs de santé, qui auront passé le cap des 6 millions d’ici à 2030. Aujourd’hui, les agents communautaires peuvent être habilités à prescrire des médicaments selon des protocoles médicaux simplifiés.
Enfin, pour renforcer les systèmes de santé, nous avons créé en un an quatorze instituts nationaux de santé publique, ce qui fait que, désormais, plus de la moitié des pays en sont dotés, et nous allons continuer. Cette question est centrale pour la prévention et la surveillance des maladies, car ce sont ces instituts qui collectent les informations épidémiologiques et les analysent afin d’agir de manière appropriée. Et ils fonctionnent aujourd’hui en réseau.
La question de l’équité était au cœur des discussions de l’Assemblée mondiale de la santé qui s’est achevée le 1er juin à Genève. Les pays du Sud, Afrique en tête, considèrent que le futur accord sur la prévention, la préparation et la riposte aux pandémies leur est encore défavorable. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Le Covid a révélé la faiblesse, voire l’absence des ressources du continent pour faire face à une pandémie d’une telle ampleur. Le monde n’est évidemment pas à l’abri d’un nouvel épisode et l’Afrique est aussi exposée. Ce nouvel instrument, en négociation depuis plus de deux ans, est crucial. Il fera force de loi dans le cas d’une nouvelle pandémie, pour bâtir une réponse mondiale juste qui doit éviter les grandes inégalités de traitement de la crise du Covid, par exemple en termes d’accès aux vaccins.
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Mais ce n’est pas le seul sujet : la question du partage des bénéfices concernant l’accès aux agents pathogènes, matière première qui permet aux pays occidentaux de mener à bien leurs recherches pour développer médicaments et vaccins, est fondamentale. Pour le Covid, le continent [l’Afrique du Sud notamment] a fourni beaucoup de cette matière première. En cas de nouvelle pandémie, nous devons nous assurer que ces bénéfices soient mieux partagés. Cela peut se traduire par des accords sur le transfert des technologies, c’est-à-dire les droits de dupliquer des vaccins : nous devons pouvoir y avoir plus facilement accès et plus rapidement.
Justement, où en est le continent sur l’indépendance vaccinale ?
Depuis le Covid, de nombreux projets d’ouvertures d’usines se sont concrétisés, comme dernièrement au Rwanda avec l’installation des laboratoires mobiles de l’allemand BioNtech pour fabriquer des vaccins ARN messager.
Nous avons fait réaliser en 2023 une cartographie claire de la capacité de production du continent, notre objectif étant de fabriquer 60 % de nos besoins en vaccins à l’horizon 2040. Alors que la demande moyenne s’élève à 1,3 milliard de doses par an, nous serons capables d’en produire 2 milliards ! En revanche, nous sommes en pénurie de production d’agents pathogènes. En clair, le continent sait techniquement assembler la formulation d’un vaccin et remplir fioles et seringues, mais manque de matière première. Nous devons donc aussi développer ce secteur et les compétences qui vont avec.
Notre industrie est naissante, même si certains pays sont beaucoup plus avancés que d’autres. Par exemple, Dakar fabrique depuis plusieurs années, de A à Z, le vaccin contre la fièvre jaune et est au point sur celui contre la rougeole. Les négociations sont également très avancées sur le transfert de technologie pour fabriquer d’ici à deux ans le vaccin contre le choléra.
Notre travail n’est pas seulement d’appuyer l’installation de nouveaux fabricants. Nous accompagnons aussi les autorités nationales de régulation pour certifier la qualité de ces produits. C’est un mécanisme complet que nous mettons en place.
Produire est une chose, encore faut-il qu’il y ait des acheteurs…
Fabriquer des vaccins ou des produits médicaux n’est pas une fin en soi, il faut en effet créer un marché et les conditions pour qu’il soit rentable et engendre une baisse des coûts. En février, l’UA s’est mise d’accord sur un mécanisme d’achat groupé qui doit ouvrir un marché de produits médicaux de 50 milliards de dollars [environ 46 milliards d’euros].
La fabrication locale de vaccins sera la deuxième indépendance de l’Afrique. Il n’est pas seulement question de garantir la sécurité sanitaire de tous les Africains. C’est aussi une question de croissance économique qui va créer des emplois directs et indirects. Plus de 40 ministres de la santé africains se sont engagés à Genève pour garantir l’achat des vaccins « made in Africa ». Ce secteur émergent peut donner de la matière pour mettre en marche la Zlecaf, la zone de libre-échange africaine.