La France tente de promouvoir les « retours volontaires » en Côte d’Ivoire

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Quand elle nous reçoit dans son petit local à Cocody, un quartier d’Abidjan, Myriam Quanteny, 29 ans, pantalon de costume vert émeraude et chemise blanche bien repassée, ne manque pas d’activité. En France, elle était employée au service des ressources humaines d’une grande entreprise. Depuis son retour en Côte d’Ivoire, en septembre 2023, elle s’est reconvertie en entrepreneure dans la restauration.

Myriam Quanteny fait partie des 230 « migrants de retour volontaire » en Côte d’Ivoire, selon les éléments de langage utilisés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). S’ils ne sont que quelques dizaines à avoir choisi d’être accompagnés dans leur retour au pays, faute de titre de séjour valide dans l’Hexagone, leur parcours est mis en valeur par Paris, qui caresse l’espoir qu’il fera modèle.

Myriam Quanteny a demandé un retour volontaire avant même de recevoir une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Les planètes de son installation en France semblaient pourtant alignées : après un master en droit du travail et en ressources humaines effectué entre la faculté de Nanterre et l’Institut des hautes études économiques et commerciales, l’entreprise où elle travaillait en CDD comme chargée de recrutement lui avait proposé de faire évoluer son contrat en CDI. Mais son visa étudiant a expiré dans l’intervalle. La jeune femme a alors perdu son travail et son logement en même temps que son titre de séjour.

Après un an de précarité, elle a découvert en janvier 2023 le dispositif de « retour aidé » de l’OFII par une recherche Internet. Elle s’est rendue dans les locaux de l’Office, puis a reçu une convocation à la préfecture de police quelques semaines plus tard. Son retour par avion a été arrangé et la jeune femme s’est retrouvée à Abidjan, avec un pécule de 650 euros en poche et un projet « d’insertion professionnelle » à monter.

« Toutes les étapes d’un projet entrepreneurial »

L’OFII finance les projets de retour, incluant un encadrement dispensé par des sous-traitants, des cabinets de conseil, à hauteur de 10 000 euros maximum par personne. « On passe par toutes les étapes d’un projet entrepreneurial, détaille-t-elle : étude de faisabilité, business plan, étude de marché… Et quand le projet est mûr, on est auditionnés par un comité de l’OFII qui décide d’accorder ou non les financements et l’accès aux formations complémentaires. »

Sur la quinzaine de personnes que comptait la promotion de Myriam Quanteny, les deux tiers ont vu leur projet validé par l’OFII, y compris sa société de restauration, L’Africaine. Les autres ne se sont pas présentés devant le comité ou n’ont pas convaincu.

Pour tous, le défi est de rebondir vite, alors que le retour, même « volontaire », est souvent perçu comme un échec. « Surtout quand on revient avec presque rien, souligne Togny Elysée, un autre bénéficiaire. Parce que les procédures à la préfecture sont très longues et on a souvent dépensé toutes nos économies avant de prendre la décision de rentrer. »

Lui aussi est un « bon élève » de l’OFII. Faute de trouver un poste immédiatement après sa soutenance de thèse en lettres et communication à l’université de Limoges en 2019, Togny Elysée n’a pas réussi à transformer son visa étudiant en visa de travail. Après la réception d’une OQTF, il a accepté en 2022 de rentrer en Côte d’Ivoire, suspendant ses ambitions dans la recherche ou l’enseignement pour ouvrir une société de nettoyage, Nikel Services. Il estime à 7 000 euros la somme investie par l’OFII, qui est depuis devenue l’un de ses clients. Sa petite entreprise est déjà florissante et a dépassé, depuis son lancement au mois d’avril, les 5 millions de francs CFA (7 660 euros) de chiffre d’affaires.

« Un bon dispositif »

Tous deux jugent que c’est « un bon dispositif que la France a mis en place ». « Ça nous est bénéfique à nous, mais c’est aussi bénéfique à la France », indique Myriam Quanteny, en laissant échapper un petit rire.

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Cela, les responsables de l’OFII le reconnaissent volontiers. « L’objectif pour la France est de faire baisser l’immigration irrégulière et d’augmenter les retours volontaires. Même si le retour volontaire n’exclut pas le retour contraint », souligne Didier Leschi, son directeur général, après l’inauguration en grande pompe, le 21 novembre, des locaux d’Abidjan, dont les bureaux sont encore provisoires. « Leur intérêt est d’accepter le retour volontaire. Il est quand même plus digne de revenir avec un projet entrepreneurial que les poches vides, entre deux policiers », vante-t-il, qualifiant l’OFII d’« organisme de microdéveloppement ».

Didier Leschi reconnaît toutefois que les chiffres sont encore modestes. Depuis le lancement de son activité en juillet 2023, l’OFII à Abidjan a permis la création de 113 commerces, 12 exploitations agricoles, 42 élevages, 51 entreprises de services, pour un total de 1,21 million d’euros d’aides directes au démarrage de l’entreprise.

De la « dentelle », admet le directeur général, mais dont l’OFII espère faire un exemple pour dissuader les candidats à l’exil de Côte d’Ivoire et, surtout, pour les immigrés sans titre de séjour en France. D’après le dernier rapport de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, la Côte d’Ivoire était le sixième pays d’origine des demandeurs d’asile en France en 2023, avec 7 130 personnes dans l’Hexagone.

Moins cher que le retour forcé

Or le retour aidé coûte nettement moins cher à la France que le retour forcé, expliquait en 2019 un rapport parlementaire des ex-députés Jean-Noël Barrot (Yvelines, MoDem), l’actuel ministre français des affaires étrangères, et Alexandre Holroyd (Français établis hors de France, Renaissance). Il en ressortait un coût moyen de 13 800 euros par éloignement forcé, contre 2 500 à 4 000 euros en moyenne par retour aidé.

Dans son rapport de janvier 2024, la Cour des comptes évaluait le coût de la politique de lutte contre l’immigration irrégulière à 1,8 milliard d’euros par an, alors que la France est le pays qui procède au plus de retours forcés de l’Union européenne. « Le coût d’une journée de rétention s’élève à 602 euros, souligne le rapport de la Cour des comptes. (…) La lutte contre l’immigration irrégulière mobilise environ 16 000 fonctionnaires et militaires à temps plein, dont trois quarts sont des agents de la police aux frontières. »

D’après l’institution, entre 2019 et 2022, 16 000 Ivoiriens ont été visés par une OQTF et 500 ont effectivement été expulsés.

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