« La Petite-Fille », « Bivouac », « Harlem Shuffle »… Nos cinq lectures de la semaine

LA LISTE DE LA MATINALE

Cette semaine, le roman a la part belle : Bernhard Schlink confronte l’Allemagne aux fantômes de son passé, Gabrielle Filteau-Chiba décline plusieurs manières de protéger la nature, quand Colson Whitehead joue avec les codes du roman de gangsters. Marie de Lattre, elle, dénoue un secret de famille lié à la Shoah. Du côté des essais, Vinciane Despret explore la force agissante des morts : comment, à leur façon, nous parlent-ils encore ?

ROMAN. « La Petite-Fille », de Bernhard Schlink

Familier des décors paisibles de l’ouest de l’Allemagne, l’écrivain allemand Bernhard Schlink a cette fois décentré son récit vers Berlin, capitale des déchirements historiques. Ici vit le modéré et rêveur Kaspar Wettner. Kaspar, comme bien d’autres héros de Schlink, éprouve à 71 ans à quel point tout effort contre l’oubli suppose un combat, et même une enquête quasi policière afin de reconstituer une généalogie perdue : le rapport au réel suppose de surmonter des ruptures abyssales qui n’ont épargné ni les foyers ni les existences personnelles.

C’est ce que symbolise la rencontre de Kaspar avec sa petite-fille, la rousse au prénom wagnérien de Sigrun, avec laquelle il noue une relation difficile : grandie dans l’atmosphère du milieu völkisch (nationaliste ethniciste) engendré par les désillusions de la RDA, la jeune fille affiche sans fard tous les préjugés néonazis. Entre les personnages, le lien oscille du choc à la confluence, résumé saisissant d’un pays dont la modération apparente recèle de possibles montées aux extrêmes. N. W.

« La Petite-Fille » (Die Enkelin), de Bernhard Schlink, traduit de l’allemand par Bernard Lortholary, Gallimard, « Du monde entier », 338 p., 23 €, numérique 17 €.

ROMAN. « Bivouac », de Gabrielle Filteau-Chiba

Hors d’haleine, un homme fuit dans le froid du grand hiver canadien, traqué par la police. Il s’appelle Riopelle. Nom de code : Robin. L’esprit hanté par une opération qui a déraillé, cet activiste saute dans la voiture de Catwoman, une membre de son réseau d’éco-guerriers, qui l’attend du côté américain de la frontière.

L’incipit haletant de Bivouac suffit à comprendre pourquoi une société de production a décidé d’adapter au cinéma la trilogie de Gabrielle Filteau-Chiba, dont c’est le dernier volet. L’atmosphère, digne des meilleurs thrillers, laisse rapidement place à un puzzle littéraire qui assemble prose contemplative sur la nature et documentaire militant, dessin et journal intime. En plus de révéler la palette de talents de l’autrice québécoise, cette hybridation montre qu’elle écrit comme elle combat pour la sauvegarde des forêts : en cherchant des solutions.

Dans Bivouac, nous retrouvons les héroïnes d’Encabanée et de Sauvagines : Anouk, qui n’aime rien tant que la solitude de sa cabane, et Raphaëlle, l’agente de protection de la faune. Le couple de femmes fait l’expérience de la vie en communauté dans un écovillage, avant de s’embarquer, aux côtés de Riopelle et de son groupe, dans la défense d’une forêt menacée par l’industrie pétrolière.

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