La Somalie de nouveau confrontée aux vieux démons du djihadisme et du sécessionnisme

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L’espoir de voir la Somalie tourner la page de trois décennies de marasme a du plomb dans l’aile. Le pays, qui avait obtenu en décembre 2023 un accord d’allégement de sa dette, la levée de l’embargo sur les armes – vieux de trente ans – et son intégration à l’organisation régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), ploie de nouveau sous les crises. La détérioration de la situation sécuritaire et le risque sécessionniste, notamment, menacent les fragiles succès engrangés par le président Hassan Cheikh Mohamoud, au pouvoir depuis mai 2022.

La grande offensive armée menée depuis deux ans contre les Chabab fait du surplace, faute de moyens militaires. Le groupe djihadiste affilé à Al-Qaïda, qui terrorise le pays depuis deux décennies, contrôle toujours de larges pans de territoire dans le Sud. Depuis la débâcle militaire de l’été 2023, les opérations terrestres se font rares. « Les Chabab profitent des tensions [liées aux élections régionales prévues en novembre] pour se réorganiser et préparer l’offensive sur certaines villes du Galguduud [région du centre] qu’ils ont récemment perdues », avance l’ONG Armed Conflict Location & Event Data Project (Acled).

En difficulté face à la menace islamiste et incapable de la combattre seul, le gouvernement a demandé à l’Union africaine (UA), le 3 avril, de créer une nouvelle mission de maintien de la paix. La force actuelle, l’Atmis, composée d’environ 17 000 soldats ougandais, djiboutiens, éthiopiens, kényans et burundais, devait initialement partir en décembre 2024, après dix-sept années de présence. Elle sera remplacée par une nouvelle force censée protéger les infrastructures clés du pays et entraîner l’armée. La future mission devrait, selon plusieurs sources, réduire la voilure en raison de la réticence des bailleurs de fonds européens à continuer de financer seuls la plus longue force de maintien de la paix sur le continent.

Partageant avec Mogadiscio la crainte d’un vide sécuritaire, l’UA a accepté l’idée, qui sera débattue aux Nations unies en mai. « L’armée somalienne n’est pas encore capable de générer suffisamment de soldats pour combattre les Chabab et contrôler des territoires en même temps. Sans notre soutien, elle court à la catastrophe », souligne un diplomate de l’institution panafricaine, sous le couvert de l’anonymat. Au-delà de la sécurisation des infrastructures, l’Atmis participe aujourd’hui aux opérations militaires somaliennes en offrant un soutien aérien et en artillerie.

Tensions avec l’Ethiopie

Mogadiscio ne veut pas voir dans la halte des opérations militaires contre les insurgés djihadistes un aveu de faiblesse. « Nous avons été freinés pas les grandes inondations de l’automne et les tensions avec l’Ethiopie », prétend un conseiller de la présidence somalienne. En effet, Mogadiscio et Addis-Abeba connaissent une crise diplomatique inédite depuis l’accord maritime passé entre l’Ethiopie et le Somaliland, en janvier, pour l’obtention d’un accès éthiopien à la mer – qui viole sa souveraineté territoriale, selon Mogadiscio. Le 4 avril, la Somalie a expulsé l’ambassadeur éthiopien, accusant son voisin de s’ingérer dans ses affaires intérieures.

Ces tensions diplomatiques ne suffisent pourtant pas à expliquer les atermoiements somaliens. « L’armée nationale avait profité du soulèvement populaire de certains clans contre les Chabab pour passer à l’offensive en 2022, mais depuis que les milices civiles se sont désengagées, le gouvernement n’avance plus », constate Samira Gaid, une analyste indépendante. « La priorité semble être aujourd’hui davantage à la politique politicienne qu’aux objectifs militaires pour le gouvernement », ajoute Ahmed Ahmed, chercheur au sein de l’institut de recherche Somali Public Agenda, citant notamment les élections régionales à venir et la révision constitutionnelle.

En effet, le président Hassan Cheikh Mohamoud réforme au forceps le modèle fédéral somalien. La révision constitutionnelle en cours, qui entend centraliser les pouvoirs aux mains de l’exécutif et instaurer le suffrage universel, n’est pas du goût de certaines régions et clans, qui craignent d’être marginalisés dans le nouvel arrangement. La province semi-autonome du Puntland (nord) a annoncé le 31 mars ne plus reconnaître « les institutions de l’Etat fédéral ». Les autorités du Puntland, qui collectent leur propre impôt et ne sont pas engagées dans la lutte contre les Chabab, assurent disposer jusqu’à nouvel ordre de leur propre gouvernement.

Avec la défection du Puntland et le retour de la piraterie au large des côtes somaliennes, les vents contraires s’accumulent pour Hassan Cheikh Mohamoud, déjà absorbé par la crise diplomatique avec l’Ethiopie et l’insurrection des Chabab. « Il a de moins en moins de leviers pour agir, fait face à une opposition revigorée et ne contrôle pas même la moitié de son territoire », résume un diplomate occidental. A ce stade, le principal atout du président somalien réside dans ses soutiens extérieurs (Turquie, Etats-Unis, Emirats arabes unis et Union européenne), qui continuent pour l’heure de financer les difficiles réformes entamées par son administration.

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