C’est un terrain vague à quelques kilomètres au sud de Rabat, coincé entre une quatre-voies bordée de palmiers et l’océan Atlantique. Une petite falaise est coupée en deux par une tranchée naturelle, recouverte d’une bâche blanche. A l’ombre de celle-ci, des chiens sont assoupis, tandis qu’un malingre pied de tomates monte la garde. Nous sommes à l’entrée de la grotte de Dar-Es-Soltane 2. A l’intérieur de celle-ci, une poignée d’étudiants casqués s’activent, dégageant couche après couche le passé qui y reste enfoui.
Le site, riche en fossiles et artefacts, avait déjà été fouillé entre 1969 et 1978 par André Débénath (1940-2016), dans le cadre de la mission archéologique française au Maroc, rappelle Abdelouahed Ben-Ncer, du Laboratoire des sciences de l’archéologie et des matériaux rattaché à l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (Insap), à Rabat : « La meilleure documentation anthropologique de la région provient de cette grotte, occupée à partir d’il y a 120 000 ans. » Les fouilles ont repris en 2022, à la faveur d’une convention entre l’Insap et le Collège de France.
Jean-Jacques Hublin, qui en occupe la chaire de paléoanthropologie, y a engagé une part du prix Balzan – doté de 3 millions de francs suisses, qu’il a reçu fin 2023, et qu’il qualifie de « petit miracle ». En ce mois de juin, la troisième campagne, longue d’un mois, est en cours. L’un des enjeux est de tenter d’en savoir plus sur les auteurs d’une industrie lithique dite « atérienne », caractérisée par de petites pointes taillées pédonculées, que l’on retrouve « du Sahara jusqu’à la Méditerranée et l’Atlantique, une zone plus vaste que les Etats-Unis d’Amérique », souligne Abdelouahed Ben-Ncer.
Cette culture, représentée entre 145 000 ans et 30 000 ans environ, recouvre la période où Homo sapiens a quitté le continent africain pour conquérir le reste du monde, il y a environ 70 000 ans. Trouver des fossiles humains à Dar-Es-Soltane 2 « nous donnerait une image de ceux qui sont sortis d’Afrique », avance Jean-Jacques Hublin. Avec Abdelouahed Ben-Ncer, il a déjà donné un visage au plus ancien Homo sapiens connu, datant de 315 000 ans et dont les restes ont été découverts sur le site marocain de Djebel Irhoud en 2017. Les deux hommes aimeraient continuer sur cette lancée.
Nouvelle icône paléontologique
« Cette découverte de Djebel Irhoud a changé beaucoup de choses, note le chercheur marocain. Plusieurs équipes à travers le monde nous ont depuis contactés pour travailler au Maroc. » Les autorités chérifiennes ont pris la mesure de cette nouvelle icône paléontologique. « Un centre d’interprétation a été créé à proximité, les routes ont été refaites, on a stoppé les activités d’une énorme carrière, et le site a été classé patrimoine national », fait encore valoir Abdelouahed Ben-Ncer.
Il vous reste 76.02% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.