Le chef de la diplomatie russe, une nouvelle fois en tournée en Afrique

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Tout sourire et sans cravate, le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a atterri, lundi 3 juin, avant l’aube à Conakry en Guinée, première étape de sa sixième visite sur le continent africain en deux ans. En se posant, pour la première fois depuis 2013, sur le tarmac de l’aéroport Ahmed Sékou Touré – du nom du premier président du pays, fortement inspiré par le modèle socialiste –, le chef de la diplomatie russe n’est arrivé ni en pays conquis ni en terre hostile. Comme la République du Congo et le Tchad, les deux prochaines étapes annoncées de son voyage, la Guinée affiche une position neutre vis-à-vis de la guerre en Ukraine, et se tient à l’écart de la lutte d’influence avec la France sur le continent.

Si l’histoire est un atout pour la Russie – l’Union soviétique fut le premier Etat à reconnaître l’indépendance de la Guinée lorsque, en 1958, Ahmed Sékou Touré a dit « non » au Général de Gaulle et à la Communauté française qu’il proposait –, qui soutint l’économie guinéenne lorsque les relations devinrent exécrables avec Paris, la relation repose aujourd’hui en premier lieu sur des intérêts miniers.

La bauxite extraite de Guinée représente 40 % de l’apprivoisement du géant russe Rusal, deuxième producteur mondial d’aluminium derrière la Chine. Pour conserver cet acquis, Moscou mène sur place une diplomatie des plus amicales avec les dirigeants successifs. En janvier 2019, son ambassadeur Alexandre Bredgazé, aujourd’hui à la tête de Rusal-Guinée, avait ouvertement encouragé le président de l’époque, Alpha Condé, à modifier la Constitution pour briguer un troisième mandat.

« Position équilibrée » sur le conflit en Ukraine

Ce dernier a depuis été renversé, en septembre 2021, par le colonel Mamadi Doumbouya, qui, depuis lors, cultive un équilibre diplomatique visant à ne froisser ni les puissances hors du continent ni ses voisins putschistes du Sahel. Après avoir rassuré les investisseurs russes qu’elles ne remettraient pas en cause les engagements de son prédécesseur, les nouvelles autorités guinéennes se sont absentées lors du vote des résolutions aux Nations unies condamnant l’invasion russe en Ukraine.

Parallèlement, Mamadi Doumbouya, ancien officier de la légion étrangère française, maintient de bonnes relations avec Paris, qui l’aide notamment à sécuriser sa frontière des groupes djihadistes, qui opèrent au Mali voisin. Tandis que les putschistes à Bamako, comme ceux du Burkina Faso et du Niger, ont, avec l’appui de la Russie, fait du rejet de la France l’axe de leur communication, Conakry montre une évidente modération dans ses discours. En retour, la France reste tout aussi discrète sur la question des droits de l’homme et des libertés fondamentales à l’heure où le régime vient de fermer les principales radios et télévisions privées du pays et de repousser sine die la tenue d’élections, prévues avant la fin 2024.

Il en va de même en République du Congo, deuxième étape annoncée de la tournée de M. Lavrov et alliée de longue date de la France. Là encore, la coopération avec Moscou remonte aux luttes pour l’indépendance et le Parti congolais du travail, toujours au pouvoir, n’a abandonné le marxisme-léninisme qu’à la chute de l’URSS. Signe d’une proximité affichée, c’est à Oyo, son fief, à 400 kilomètres au nord de Brazzaville, que Denis Sassou-Nguesso doit recevoir M. Lavrov. Comme en juillet 2022, lors de sa précédente visite, où il avait apprécié la « position équilibrée » de son hôte sur le conflit en Ukraine.

Le Tchad, dernier bastion de l’influence française au Sahel

La poursuite de la coopération militaire, mais aussi dans les domaines de l’éducation et de l’énergie, devrait être au menu des discussions, de même que la crise en Libye. Denis Sassou-Nguesso préside, en effet, depuis 2014, le Comité de haut niveau de l’Union africaine sur la crise dans ce pays, où Moscou est un acteur clé, appuyant fortement le maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’est libyen.

Le sujet, tout comme celui de la guerre au Soudan, pourrait également être évoqué au Tchad, où M. Lavrov est attendu, mercredi 5 juin, pour rencontrer le président Mahamat Idriss Déby, élu en mai à la tête du pays pour cinq années supplémentaires, après un scrutin contesté.

La présence à N’Djamena, le jour du vote de Maksim Shugaley, un spécialiste russe des campagnes d’influence politique et proche du groupe Wagner, en compagnie d’un mouvement de soutien au président avait été remarquée sur les réseaux sociaux. En revanche, pour l’investiture du président tchadien, le 23 mai, Alexandre Fomine, le vice-ministre russe de la défense n’a pas fait le déplacement qu’il avait annoncé.

La Russie avance prudemment dans ce pays, dernier bastion de l’influence française au Sahel. Dans une région où le Mali, le Burkina Faso puis le Niger ont expulsé les troupes françaises et se sont rapprochés de la Russie, faisant notamment appel à ses paramilitaires, Paris, qui maintient encore plus d’un millier de soldats au Tchad, a suivi avec une attention particulière la réception à Moscou de Mahamat Idriss Déby par Vladimir Poutine en janvier.

Moscou opportuniste

Les autorités tchadiennes savent tirer profit de leur position géostratégique dans un environnement de crises (Libye, Soudan, Centrafrique, Niger, et n’hésitent pas à agiter la menace d’un virage vers la Russie pour obtenir des concessions des Occidentaux. La relation n’est plus exclusive et N’Djamena a diversifié ses partenariats sécuritaires avec les Emirats arabes unis, la Turquie ou bien encore la Hongrie. D’autant que M. Déby sait que sa relation privilégiée avec Paris, héritée de son père, résonne de plus en plus mal auprès d’une partie de ses concitoyens.

Moscou, opportuniste, guette le moindre faux pas. Aux obsèques d’Idriss Déby en avril 2021, la présence d’Emmanuel Macron aux côtés du fils du défunt avait été interprétée sur place comme l’adoubement d’une succession dynastique. En mars, la venue de Jean-Marie Bockel, l’envoyé personnel du président, proclamant son « admiration » pour la transition tchadienne, quelques jours après la mort de l’opposant Yaya Dillo Djerou, tué dans un assaut de l’armée contre le siège de son parti, avait ajouté au trouble. Pour l’investiture du nouveau chef de l’Etat, la France était plus discrète, représentée par son ministre délégué chargé du commerce extérieur, Franck Riester. Des signaux contradictoires pour le pouvoir à N’Djamena qui s’en agace ouvertement.

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