le « plan Messmer », un programme Apollo à la française

André Giraud, et Valery Giscard d'Estaing visitent la centrale de Pierrelatte, en France le 29 juillet 1977.

En ce jour de décembre 1973, Marcel Boiteux n’a pas eu le temps de faire de savants calculs, lui le mathématicien de haut vol passé par Normale-Sup, l’équipe du futur Prix Nobel d’économie Maurice Allais et la puissante direction des études d’EDF. Quand l’un des missi dominici du gouvernement l’appelle au petit matin,il ne donne que quelques heures au directeur général du groupe d’électricité pour dire combien de réacteurs nucléaires il est capable de construire chaque année. Il y a urgence : deux mois plus tôt, la guerre israélo-arabe a fait flamber les prix du pétrole et la France a malheureusement de nombreuses centrales au fioul. Le premier ministre, Pierre Messmer, vient d’annoncer une brutale accélération du programme nucléaire lancé en 1970 avec le projet de Fessenheim (Haut-Rhin), mais sans disposer encore de tous les éléments.

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La réponse du patron d’EDF tombe quelques heures plus tard : « Pas plus de six ou sept. » Ce « pas plus » sonne drôlement, quand la construction du seul EPR de Flamanville (Manche) se sera éternisée de 2007 à au moins 2024. Et qu’EDF prévoit de mettre en service six EPR 2 entre 2035 et 2045. « Ce qui me frappe, c’est le sentiment d’urgence de l’époque, souligne l’historien Alain Beltran, directeur de recherche au CNRS et président honoraire du Comité d’histoire de l’électricité et de l’énergie. En quelques semaines, on a décidé un programme sans précédent. Le pouvoir politique avait alors une très grande confiance en EDF. » Et la France ne partait pas de rien.

Depuis 1945, elle possède une solide expertise nucléaire avec le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et EDF. A la veille du « plan Messmer », annoncé le 6 mars 1974 à la télévision, le pays aligne un puissant complexe industriel autour de quatre pôles : le CEA et sa filiale Cogema pour le cycle du combustible ; Creusot-Loire et Framatome pour la fabrication des composants de l’îlot nucléaire (chaudière, générateurs de vapeur…) ; la Compagnie générale d’électricité (CGE) par le biais d’Alsthom – avec un h à l’époque –, fabricant de la turbine générant le courant ; et, au cœur du système, EDF, qui conçoit et construit les centrales avant de les exploiter.

« Une organisation industrielle hors pair »

« Le succès de ce plan, on le doit à une volonté politique très forte, un investissement massif et une organisation industrielle hors pair et nécessaire, quand on compte environ 1 500 contrats différents par réacteur », se souvient Hervé Machenaud, qui participa à l’aventure au début des années 1980 à la centrale de Paluel (Seine-Maritime), avant de piloter les projets chinois, puis de finir patron de la production-ingénierie du groupe (de 2010 à 2016).

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