Le Maroc observe avec attention les tractations qui ont cours en Afrique du Sud en vue de la constitution d’un nouveau gouvernement. A l’instar d’Alger, Pretoria, qui a reconnu en 2004 la République arabe sahraouie démocratique (RASD), est un fervent soutien du Front Polisario, le bras armé du mouvement indépendantiste, qui affronte Rabat depuis un demi-siècle au Sahara occidental.
L’affaiblissement du Congrès national africain (ANC), suite aux élections générales du 29 mai, constitue de ce point de vue une bonne nouvelle pour le Maroc. La formation du président Cyril Ramaphosa a recueilli à peine plus de 40 % des suffrages, perdant pour la première fois la majorité absolue qu’elle détenait au Parlement depuis 1994. Le revers est historique et les interrogations pointent déjà sur les conséquences de cette débâcle sur la politique étrangère de l’Afrique du Sud.
La loi prévoit un délai de quatorze jours pour former le nouvel exécutif. Reste à savoir quelle forme prendra la future coalition gouvernementale. Deux scénarios se dessinent. L’un consisterait en un accord entre l’ANC et le parti Economic Freedom Fighters (EFF), arrivé quatrième avec 9 % des suffrages. Un rapprochement qui pourrait être élargi au parti uMkhonto we Sizwe (MK), troisième avec 15 %, bien que son leader, l’ancien président Jacob Zuma, ait posé comme condition le départ de Cyril Ramaphosa, son successeur à la tête de l’Etat, avec qui les relations sont exécrables.
« Si cette coalition prenait forme, la position de l’Afrique du Sud dans le dossier du Sahara occidental ne bougerait pas d’un iota. L’ANC et l’EFF ont mentionné dans leur programme électoral qu’ils soutenaient l’organisation d’un référendum. Quant au MK, même s’il n’y a pas explicitement fait allusion dans son manifeste, Jacob Zuma s’est toujours déclaré en faveur du droit à l’autodétermination », prévient l’analyste sud-africain François Conradie, du cabinet britannique Oxford Economics.
« On n’assistera pas à une révolution »
Le second scénario, qui pourrait avoir les faveurs de Rabat, verrait se rapprocher l’ANC du premier parti d’opposition, l’Alliance démocratique. Une coalition de nature à desserrer les liens entre Pretoria et ses alliés traditionnels, laissant poindre une possible inflexion de la position sud-africaine dans le dossier du Sahara occidental. Ouvertement libérale, l’Alliance démocratique, deuxième des élections avec 22 %, est considérée comme pro-occidentale, à rebours de la proximité affichée de l’ANC avec la Russie, l’Algérie ou Cuba.
L’un de ses chefs de file, Helen Zille, ancienne maire du Cap, a reproché à Cyril Ramaphosa d’être « le complice » des exactions de l’armée russe en Ukraine. En 2018, elle avait déjà comparé Jacob Zuma à Donald Trump en raison de ses liens supposés avec Moscou. Plus modérée sur Israël, l’Alliance démocratique ne cache pas non plus son scepticisme à l’égard des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), mais reste discrète sur la question du Sahara occidental.
« On n’assistera pas à une révolution, mais l’Afrique du Sud vit une situation économique très difficile et a un besoin pressant de rassurer les marchés et d’attirer les investisseurs. L’image d’un pays allié de la Russie et d’autres nations autoritaires n’aide sans doute pas », estime Sanusha Naidu, analyste en politique étrangère auprès de l’Institute for Global Dialogue de Pretoria.
L’hypothèse d’un fléchissement reste prématurée
Même si son leader John Steenhuisen ne s’est jamais officiellement exprimé sur ce sujet, l’irruption des libéraux au gouvernement pourrait-elle avoir une incidence sur le soutien de l’Afrique du Sud au Sahara occidental ? Ce ne sera pas un point de friction avec l’ANC, prédisent les observateurs, mais la question pourrait être traitée différemment.
« Tout dépend à qui sera confié le ministère des affaires étrangères, mais l’éventualité d’une coalition avec l’Alliance démocratique rendra sans doute moins évidente une visite d’Etat de Brahim Ghali », pronostique François Conradie. Cyril Ramaphosa et avant lui Jacob Zuma avaient reçu en grande pompe le chef du Front Polisario.
L’hypothèse d’un fléchissement de Pretoria reste toutefois prématurée. « Le gouvernement va changer, mais pas la haute administration », relève Sanusha Naidu. Nommé en 2022, Zane Dangor, le puissant directeur général du ministère des affaires étrangères, a multiplié ces dernières années les déclarations hostiles au Maroc, coupable selon lui de « saper la lutte du peuple sahraoui ».
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Prudent, Richard Newton, le directeur de la communication de l’Alliance démocratique, juge qu’« il est trop tôt pour spéculer sur des changements au sujet des relations internationales » de son pays, tout en prévenant que l’évolution de la position de son parti « sera un long chemin » dans le cadre des discussions avec l’ANC.