La réponse avait été cinglante. « La France doit revoir ses méthodes ! […] Elle ne pourra plus ni faire, ni conter seule ce bout d’histoire tragique », avait jugé Ousmane Sonko, fin juillet, en réaction à la décision de Paris d’attribuer la mention « Mort pour la France » à six tirailleurs africains assassinés avec des dizaines d’autres à Thiaroye, en banlieue de Dakar, le 1er décembre 1944, sur ordre du pouvoir colonial.
« Ce n’est pas à elle [la France] de fixer unilatéralement le nombre d’Africains trahis et assassinés après avoir contribué à la sauver, ni le type et la portée de la reconnaissance et des réparations qu’ils méritent », avait poursuivi le premier ministre sénégalais, assurant que désormais, « Thiaroye 44, comme tout le reste, sera remémoré autrement ».
Le leader du parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), formation panafricaniste arrivée au pouvoir en mars avec l’élection de Bassirou Diomaye Faye à la présidence, a depuis posé les jalons de sa politique mémorielle. Le 16 août, au lendemain des cérémonies en hommage au débarquement de Provence en France – auxquelles Bassirou Diomaye Faye n’a pas pris part –, Ousmane Sonko a installé, depuis la primature, le comité de commémoration du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye.
A la vingtaine d’universitaires et de membres de la société civile réunis ce jour-là autour de lui, il a fixé les objectifs à atteindre. « Il vous appartiendra d’aller plus loin dans la manifestation de la vérité, pour que justice soit rendue et que les leçons de cette tragédie soient pleinement intégrées dans notre conscience collective », a-t-il ordonné, faisant allusion aux nombreuses zones d’ombre qui entourent toujours le massacre.
Documents secrets ?
Combien étaient-ils, ces anciens prisonniers de guerre tout juste rentrés à Dakar après avoir été détenus par les Allemands, à être tombés sous les balles de l’armée française pour avoir réclamé leur pension de démobilisation ? Où sont-ils enterrés ? La remise d’une copie numérisée des archives par l’ancien président François Hollande à son homologue Macky Sall, en 2014, n’a pas éteint la controverse. Dix ans plus tard, les nouvelles autorités sénégalaises, soutenues par certains chercheurs français et sénégalais, soupçonnent l’existence de documents secrets toujours détenus par Paris.
D’où l’idée distillée dans l’entourage de Bassirou Diomaye Faye de soumettre collectivement à la France, au nom du Sénégal, du Mali, du Burkina Faso, de la Guinée et de la Côte d’Ivoire – autant de pays dont des ressortissants ont disparu à Thiaroye –, une nouvelle demande de restitution d’archives. « C’est une option sérieuse, assure un proche du chef de l’Etat. Thiaroye n’est pas une affaire franco-sénégalaise mais franco-africaine. Or seul le Sénégal a reçu une copie d’archives, qu’on estime incomplètes. C’est une démarche qui pourrait intéresser d’autres Etats ouest-africains. »
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