Au Sénégal, la lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent n’est pas qu’une promesse de campagne. Jusque-là placé sur la liste grise du GAFI, le Groupe d’actions financières, dont la mission est de « préserver l’intégrité du système financier mondial », Dakar est en passe d’en sortir après, indique l’organisme, des « progrès significatifs » et trois années « sous surveillance renforcée ». « Notre pays est désormais entré dans la dernière étape du processus de sortie de la liste grise du GAFI », a soutenu le conseiller technique du ministère des finances et du budget, Mamadou Ndiaye, lors d’un forum économique sur la conformité bancaire qui s’est tenu du 4 au 6 septembre dans la capitale sénégalaise.
L’annonce devrait être officialisée lors de la prochaine réunion du GAFI sur le cas du Sénégal, début octobre. « Aux dernières nouvelles, il ne restait que deux mesures mineures à mettre en place aux autorités sénégalaises, sur quarante-neuf depuis 2021, pour être conforme à la réglementation du GAFI », précise Madické Niang, expert du Giaba (le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest), l’organisme régional du GAFI.
Si la présence sur liste grise du GAFI n’a pas officiellement vocation à sanctionner les Etats, mais plutôt à les pousser à une meilleure réglementation de leur politique, celle-ci produit des effets indéniables. « Dès lors qu’un pays est classé sur liste grise, il a mauvaise presse auprès des investisseurs et des bailleurs internationaux qui vont réclamer davantage de conditionnalités pour des prêts », indique Madické Niang, du Giaba. Une source de la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif), précisant que tous les effets ne sont pas encore connus, indique ainsi que sur les trois dernières années, « on estime un déclin du capital investissement de 6 à 7 % ».
Sanctions financières ciblées
Le même interlocuteur avance toutefois que « l’inscription du Sénégal sur liste grise a néanmoins été une bonne chose tant elle a permis à nos autorités d’avancer sur la question de lutte contre le blanchiment et financement du terrorisme, qui n’était jusque-là pas la priorité ». En trois ans, le Sénégal s’est ainsi appliqué à mettre en œuvre les quarante-neuf recommandations délivrées par le GAFI pour sortir de cette liste des mauvaises élèves.
A commencer par l’adoption en février d’un projet de loi relatif à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, qui a notamment permis de « mieux définir ce qu’est le financement d’activités terroristes », observe Madické Niang. Le Sénégal a également renforcé son régime de sanctions financières ciblées et mis en place une réglementation sur la nature des financements. Désormais, une banque, ou autre institution financière, qui ne respecterait pas ces obligations peut faire l’objet de sanctions administratives ou pénales.
« Nous sommes plutôt bons sur la question de la conformité technique, mais nous avions de sérieux problèmes d’efficacité sur la mise en œuvre, d’où l’instauration de sanctions, qui devraient être incitatives », commente un membre du Centif. Autre mesure instaurée par le Sénégal pour se conformer aux règles du GAFI : la création d’un registre des personnes associées ou actionnaires dans le domaine extractif (mines et pétrole), afin de limiter l’anonymat dans le secteur.
En février 2021, Dakar avait été placé sur la liste grise du GAFI pour ses lacunes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. A l’époque, l’organisme avait en particulier pointé du doigt le manque de collaboration du secteur des entreprises et professions non financières désignées (EPNFD). Autrement dit, ces entreprises, pour la plupart identifiées comme étant des casinos, des agences immobilières, des négociants en métaux précieux, des avocats et autres professions juridiques indépendantes ne remplissaient pas ou peu leurs obligations en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Douze pays fichés en Afrique
Selon une étude de l’Institut d’études de sécurité (ISS) parue en 2022, le Sénégal se classait en huitième position sur la vingtaine de pays sur liste grise pour « les risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme ». De fait, en une décennie, le pays est devenu une zone de transit pour le trafic de stupéfiants en direction de l’Europe.
« L’immobilier, le foncier et la construction sont les principaux secteurs à risque au Sénégal en matière de blanchiment de capitaux car ils sont peu encadrés et servent de tremplin d’investissements aux trafiquants de drogue », prévient Abdelkader Abderrahmane, consultant sur les questions de paix et de sécurité au Sahel. « En 2013, par exemple, 96 % des 480 millions de dollars investis dans le secteur immobilier provenaient d’origines douteuses », ajoute le chercheur.
Le Sénégal n’est pas le seul pays du continent à figurer sur cette liste grise du GAFI. Le Mali, le Nigeria, le Kenya et le Cameroun y sont également présents. Au total, sur vingt pays fichés dans le monde, douze sont africains. En cause, selon l’expert Madické Niang : « La configuration de l’économie sur le continent, en partie informelle », qui ne permet pas de tracer l’origine des capitaux.