
Julia Simon se présentera au départ du sprint des championnats du monde, vendredi 10 février, à partir de 14 h 30, parée de son dossard de leader de la Coupe du monde. Si les épreuves des Mondiaux, organisés à Oberhof, en Allemagne, depuis mercredi et jusqu’au 19 février, ne sont pas comptabilisées dans la course au gros globe de cristal, elles permettront tout de même à la Française de 26 ans d’exhiber ce maillot jaune, fruit d’un tir couché enfin au niveau de son talent sur les skis.
Avec 93 % de réussite au tir couché – alors qu’elle n’avait jamais dépassé 85,5 % – et surtout un sans-faute après les cinquante-cinq premières balles de la saison dans cet exercice, les chiffres de la biathlète des Saisies (Savoie) sont éloquents. « J’avais un tir [couché] trop engagé, avec peu de connaissances du tir. J’avais du mal à analyser pourquoi je loupais mes balles, racontait-elle en décembre 2022. Il fallait tout démolir pour retrouver un tir beaucoup plus calme, plus posé, et pouvoir comprendre mieux les choses. »
« Tout le boulot que Julia a bien voulu entreprendre, c’est de comprendre ce qu’il y a de mystique dans ce tir couché qui l’empêchait de les mettre au fond, résume Franck Badiou, ancien entraîneur de tir des équipes de France de biathlon. C’est pénible de se retrouver face à cette incompréhension. »
« Une balle de golf placée à 50 mètres »
Car le « couché » est le tir technique par excellence. « C’est le plus difficile à intégrer, alors que c’est le plus stable », poursuit Franck Badiou. Au contraire du tir debout, beaucoup plus instinctif. « Il est le plus technique, essentiellement parce que la cible est beaucoup plus petite que celle du “debout” », explique le Français Siegfried Mazet, entraîneur de tir de l’équipe masculine de Norvège. De 115 millimètres sur le debout, le diamètre des cinq cibles à abattre est réduit à 45 mm au couché. « On passe d’un CD à une balle de golf placée à cinquante mètres », image Jean-Pierre Amat, champion olympique de tir à la carabine en 1996 à Atlanta et membre du staff de l’équipe de France B de biathlon.
La cible étant presque trois fois plus petite que sur le tir debout, il faut faire preuve d’une extrême minutie pour adopter la bonne position. L’importance de chaque détail est démultipliée à un moment de la course où, pour le biathlète, les pulsations cardiaques liées à l’effort sont encore élevées. Les sensations et le ressenti, carabine en main, sont essentiels puisqu’un changement minime de la tenue du canon a de grandes conséquences sur le résultat. « Si le tireur, en appui avec l’arme sur la joue, avance sa tête d’un centimètre vers l’avant, sa balle va être déviée de plus de 45 mm, soit à l’extérieur de la cible », développe Franck Badiou pour expliquer la différence avec le tir debout. Or « la pression de la tête sur la carabine peut varier selon le stress ou les émotions », abonde Siegfred Mazet.
L’exemple de Johannes Thingnes Boe, leader du classement général de la Coupe du monde et vainqueur de onze courses cette saison, permet de mieux saisir les subtilités de l’exercice. Meilleur skieur du circuit, le Norvégien, quintuple champion olympique, a progressé sur le tir couché et présente un taux de réussite de 92,2 %, après deux saisons difficiles dans ce domaine : 87,1 % puis 82,9 % en 2021-2022. « Le nerf de la guerre est d’avoir exactement la même position et de la répéter. Mais, pendant deux ans, Johannes n’a jamais eu cette patience, il changeait de position tous les deux, trois mois », analyse son entraîneur, Siegfred Mazet.
L’un des autres éléments primordiaux à prendre en compte dans la réussite au tir couché n’est autre que le vent. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Eole a bien plus d’influence sur le tir couché que sur le debout. « La différence est que, debout, le vent agit sur le tireur, car le corps et la carabine sont exposés, alors que sur le couché, il agit sur la balle », détaille Siegfred Mazet, qui a aussi été l’entraîneur de tir de l’équipe de France masculine de 2008 à 2016.
« Un vent de 4 mètres par seconde [une force modérée] suffit à sortir la balle de la cible, même si la visée était placée parfaitement au centre », explicite Jean-Pierre Amat. La raison ? Encore la taille particulièrement réduite de la cible noire à abattre. Debout, un vent de la même force ne permettrait pas de dévier la balle de l’objectif.
Sturla Holm Lægreid, « l’ingénieur »
Le tir couché étant placé avant le débout, que ce soit dans les épreuves de sprint (couché-debout), de poursuite et la mass-start (couché-couché – debout-debout) ou l’individuel (couché-debout – couché-debout), son approche mentale est différente. « Ce n’est pas là qu’on gagne la course mais c’est là qu’on peut la perdre », affirme Siegfred Mazet.
Moins fatigué qu’en fin de course, l’athlète est logiquement plus lucide et le résultat derrière la carabine doit, normalement, s’en ressentir. « Ce sont des tirs délicats d’un point de vue psychologique, car on attend de vous que vous fassiez le plein, confirme Franck Badiou, désormais entraîneur de l’équipe de France paralympique de tir. Vous êtes frais, il y a une obligation de bien se placer dans la course. La moindre balle perdue sur le couché vous fait rager de manière assez forte, car c’est intolérable. »
Sur les trente-neuf biathlètes, hommes et femmes confondus, ayant participé aux quatorze courses individuelles de la saison, seuls le Belge Florent Claude, le Suédois Martin Ponsiluoma et la Française Anaïs Chevalier-Bouchet présentent un meilleur taux de réussite debout que couché.
« Un tir couché, c’est mathématique. Si on respecte le protocole de tir, la balle est forcément dedans », assure Siegfred Mazet, bien placé derrière ses jumelles pour observer le Norvégien Sturla Holm Lægreid exceller dans cet exercice (113/115, soit 98 %). « C’est un ingénieur du tir. Il a modélisé son tir, on a travaillé, explique son entraîneur. Techniquement, il est hyper pointu. »
Lorsqu’un biathlète a intégré toutes ces fines notions techniques, la dernière marge de progression réside dans le temps passé derrière la carabine. L’objectif est de le réduire au minimum. Mais « il y a toujours une limite dans le raccourcissement du temps qui est de ne pas basculer dans le trop vite », prévient Jean-Pierre Amat. Décidément, le tir couché est une science qu’il faut savoir appréhender et maîtriser.