Dans le flot de réactions que suscite le projet de réforme des retraites du gouvernement Borne, certains suggèrent l’introduction d’une dose de capitalisation comme alternative au recul de l’âge de départ. Ou en complément de celui-ci, afin de sécuriser les pensions sur le long terme. A la différence de la répartition, qui fait payer les retraites par les cotisations des actifs du moment, le rendement d’un régime de capitalisation dépendrait exclusivement des sommes accumulées par chacun au long de sa vie, et serait donc insensible au vieillissement de la population. De leur côté, les opposants à la réforme rejettent cette perspective au motif que la capitalisation serait étrangère à l’esprit de notre système, fondé sur la solidarité. Dans les deux cas, c’est méconnaître le fonctionnement réel d’un système de retraite.
Le vieillissement affecte les systèmes de pensions de deux manières. D’abord, par l’accroissement de l’espérance de vie à la retraite. Si celle-ci est plus importante que prévu, il faudra augmenter les cotisations ou baisser les pensions futures, quelle que soit la technique retenue. Ensuite, par la diminution du nombre des actifs. Là encore, la capitalisation n’y échappe pas, bien que de manière indirecte. En effet, les pensions versées constituent toujours un prélèvement sur le produit courant des actifs. Les sommes accumulées dans la capitalisation ne sont ainsi qu’un titre de créance sur la production future : elles offrent, comme tout actif financier, un « droit de tirage » sur les richesses disponibles à un moment donné. Si le ratio démographique se dégrade, une part croissante de ces richesses devra être transférée aux retraités, induisant une déformation du partage du revenu national en faveur du capital au détriment du travail, avec, à la clé, des conséquences économiques, sociales et, peut-être, politiques.
On voit ainsi qu’un mécanisme de retraite, quel que soit le financement retenu, est fondamentalement et toujours collectif, et ne saurait faire abstraction du contexte général, ni du « contrat social ». Les conflits de répartition ne disparaissent pas avec la capitalisation !
Capitalisation « solidaire »
Venons-en au reproche d’« individualisme » fait à la capitalisation. Il est exact que la plupart des défenseurs de cette dernière vantent les mérites de la liberté, prenant pour exemple les produits d’épargne-retraite disponibles sur le marché, qui reposent sur une souscription et des versements entièrement libres. Mais ces principes ne sont pas, en soi, liés à la capitalisation ; il est tout à fait possible d’imaginer un système de pensions complémentaires capitalisées assorti d’une adhésion obligatoire et de cotisations uniformes : un tel système existe depuis 2005 pour la retraite complémentaire des agents publics. Assorti de quelques correctifs (cotisations ou prestations bonifiées pour certains), il pourrait être aussi « solidaire » et redistributif que nos régimes en répartition. Par où l’on voit, deuxième leçon, que la capitalisation n’est pas nécessairement moins « sociale » que la répartition. En réalité, les principaux risques ne se situent pas là. Un détour par l’histoire peut, à cet égard, s’avérer instructif.
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