« Echec au complot, les aigles de l’Algérie victorieux ! » Sous ce titre triomphal, deux chaînes publiques algériennes ont diffusé le 7 décembre, le récit d’un certain Mohamed Amine Aïssaoui, 35 ans, présenté comme un ancien djihadiste de l’organisation Etat islamique (EI).
Cet homme de 35 ans se décrit comme un repenti et accuse nommément la DGSE française de l’avoir recruté pour constituer des groupes armés en Algérie. Alors que les relations entre Paris et Alger ne cessent de se dégrader, une partie de la presse algérienne reprend ces « révélations » en insistant sur la « performance » des services de renseignement algériens. « Une barbouzerie bien française déjouée », a titré le journal L’Expression, habitué à reproduire les éléments de langage du pouvoir.
Mohamed Amine Aïssaoui, selon son récit, né en Algérie, a grandi en Espagne avec ses parents et aurait vécu en France durant l’année 2013, d’où, dit-il, il a rejoint l’EI en Irak. Il raconte avoir été contacté, en 2022, par l’association française Artémis, spécialisée dans la « prévention de la radicalisation ».
La voix off de l’émission qualifie cette association de « douteuse », du fait que celle-ci soit dirigée par un ancien conseiller de Bernard Cazeneuve, lorsqu’il était ministre de l’intérieur, et par « un Marocain naturalisé français, récemment honoré par le roi du Maroc, Mohammed VI, pour ses “contributions dans le domaine de la recherche scientifique” ».
A l’Institut français d’Alger
Le premier contact direct avec un membre d’Artémis, filmé par les services de sécurité algériens, a lieu en avril 2023, à la place Emir-Abdelkader, au cœur d’Alger. Son contact se présente sous le nom d’Ivan, le commentaire assure qu’il s’agit en fait d’un « cadre de la DGSE (…) premier secrétaire de l’ambassade de France… ».
Les discussions entre l’espion présumé ont lieu au niveau de l’Institut français d’Alger (IFA) ou au Cercle des anciens combattants français à Alger. Sans qu’elle ne soit citée par l’ancien djihadiste, un portrait en médaillon de l’attachée de coopération éducative à l’Institut français à Alger à l’époque est incrusté sur l’écran de télévision.
D’après ses dires, Mohamed Amine Aïssaoui a d’abord été chargé de collecter des informations sur les radicaux islamistes dans sa région de Tipaza et les passeurs de migrants. La DGSE, assure-t-il, voulait l’envoyer au Niger moyennant 50 000 euros de frais pour intégrer un groupe armé, mais le projet a été annulé à la suite du coup d’Etat de juillet 2023 dans ce pays.
On lui aurait notamment demandé de se rapprocher des islamistes radicaux à Alger et Oran. Les services de sécurité algériens, indique-t-il, étaient constamment informés de ses échanges et lui auraient fourni de fausses listes de radicaux à livrer aux Français, avant de lui demander de cesser ses contacts avec eux.
« Un plan de déstabilisation de l’Algérie »
C’est une « victoire éclatante des services de sécurité algériens » se réjouit L’Expression. Le site nationaliste, Algérie patriotique, fondée par le général Khaled Nezzar – décédé fin 2023 – salue un « message clair à la France, dans ce contexte marqué par une campagne enragée, menée par l’Elysée, le Quai d’Orsay, la DGSE et les médias stipendiés, suite à l’arrestation de l’agent franco-israélo-marocain Boualem Sansal par les services de sécurité algériens à sa descente d’avion ».
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L’auteur, âgé de 80 ans et qui n’a pas la nationalité israélienne, a été interpellé à l’aéroport d’Alger le 16 novembre, en vertu d’un article du code pénal qui réprime les atteintes à la sûreté de l’Etat. Incarcéré à la prison de Kolea, à 35 km d’Alger, après un passage par le pavillon pénitentiaire de l’hôpital Mustapha, dans la capitale. Mercredi 11 décembre, le recours déposé par ses avocats a été rejeté par la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Alger qui a décidé de son maintien en détention.
La presse proche du pouvoir algérien n’en est pas, tant s’en faut, à ses premières accusations complotistes. En mai 2023, L’Expression, citant des « sources sécuritaires », avait révélé un « mystérieux complot contre l’Algérie » où « des membres influents du Mossad, cinq responsables des services de renseignement français ainsi que douze éléments des services marocains » se seraient réunis à Tel-Aviv pour « l’élaboration d’un plan de déstabilisation de l’Algérie ».
La prétendue révélation avait d’autant plus surpris qu’elle survenait après le règlement de la crise autour de « l’affaire Bouraoui », du nom de cette opposante algérienne détentrice d’un passeport français protégée in extremis d’une extradition vers Alger par la diplomatie française alors qu’elle s’était réfugiée à Tunis début février 2023. La campagne médiatique déclenchée autour de ce « mystérieux complot de Tel Aviv » en plein apaisement franco-algérien pouvait révéler l’existence de tensions entre clans du régime sur l’attitude à avoir vis-à-vis de Paris.
A Alger, certains observateurs se demandent si la diffusion du film accusant la DGSE n’annonce pas des restrictions visant l’Institut français d’Alger, l’un des lieux culturels les plus courus du pays.