Le dernier livre de François Ruffin – consacré à la réforme des retraites – est précédé d’un avertissement. Pour que l’ouvrage ne soit pas volumineux, ses sources et références n’y figurent pas, mais on peut les consulter en ligne. Voilà donc une nouvelle étape dans une tendance consistant à ne pas vouloir ennuyer le lecteur avec des notes de bas de page tout en lui garantissant qu’elles existent bien quelque part.
Cela faisait déjà quelques années que de plus en plus d’essais renvoyaient leurs références en fin de volume, une manière de dire au lecteur « tu ne me prendras pas en flagrant délit de ne pas citer mes sources », tout en lui glissant « ne t’avise pas d’aller vérifier, tu perdrais un temps fou ». Devenues armes diplomatiques, les notes de bas de page en fin de livre permettent aux auteurs d’essai des renvois d’ascenseur et de tisser leur réseau, ce qui explique aussi l’augmentation de l’espace consacré aux remerciements.
Si personne ne se réjouit jamais en ouvrant un livre de découvrir que les notes ont été consignées à la fin – au mieux on y est indifférent – il se trouve quand même parmi les lecteurs une communauté que la tendance indigne, des gens qui considèrent que les notes de bas de page ne s’appellent pas ainsi pour des prunes, des « activistes » prêts à organiser des pétitions pour les remettre à leur place : en bas de la page.
A quoi on les reconnaît
Ils lisent toutes les notes de bas de page en considérant qu’elles font partie du livre. Ils essaient d’estimer combien de temps ils ont perdu dans leur vie à tourner les pages pour aller chercher des explications ou des sources à la fin. Ils hésitent à les photocopier pour les garder sous la main pendant leur lecture. Ils se disent que ça doit venir des Etat-Unis ou, pire, que « c’est anglo-saxon ». Ils citent les notes de bas de page à rallonge du romancier américain David Foster Wallace ou celles du glossaire de l’Anglais David Peace. Ils ne comprennent pas pourquoi les notes de Du côté de chez Swann, de Marcel Proust, sont en bas de page au Livre de poche mais à la fin chez Folio. Ils ne s’expliquent pas non plus pourquoi certains exemplaires publient leur table des matières à la fin alors qu’on en a besoin au début.
Comment ils parlent
« C’est qui l’illuminé qui a pu proposer de mettre la note 250 pages plus loin et comment a-t-il pu convaincre que c’était une bonne idée ? » « Les éditeurs qui font ça, il faudrait les inviter à dîner et mettre les plats dans le village voisin. » « Et c’est encore pire quand les notes de bas de page sont en fin de livre numérotées par chapitre plutôt qu’en numérotation continue. » « Que serait Keynes sans ses notes de bas de page ? » « Sur PDF, ça vire au cauchemar. » « Y a notes de bas de page et notes de page. » « Il faudrait quand même séparer les notes de contextualisation des notes bibliographiques. » « Il n’y a rien de plus agaçant que de quitter sa ligne de lecture pour aller chercher un peu d’approfondissements avec la note de bas de page et de tomber sur “ibid.” »
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