L’Espagne adopte une loi permettant de changer librement de genre dès 16 ans

A Madrid le 16 février 2023, la ministre espagnole de l’égalité Irene Montero, à gauche, célèbre avec l’activiste et première transsexuelle élue au Parlement espagnol Carla Antonelli, à droite, devant le Congrès espagnol, le vote de la la loi « transgenre ».

A l’heure où d’autres pays européens freinent sur ce sujet controversé et après des mois de débat parfois houleux au sein de la gauche au pouvoir, les députés espagnols ont adopté définitivement, jeudi 16 février, une loi permettant de changer librement de genre dès 16 ans. Cheval de bataille du parti de gauche radicale Podemos, allié des socialistes au sein du gouvernement de Pedro Sánchez, cette loi dite « transgenre » permet aux personnes qui le souhaitent de faire changer leur genre sur leurs papiers d’identité via une simple déclaration administrative dès l’âge de 16 ans.

Il ne sera donc plus nécessaire de fournir des rapports médicaux attestant d’une dysphorie de genre et des preuves d’un traitement hormonal suivi durant deux ans, comme c’était le cas jusqu’ici pour les personnes majeures. Le texte – adopté par 191 voix contre 60 et 91 abstentions – étend également ce droit aux 14-16 ans, à condition qu’ils soient accompagnés dans la procédure par leurs tuteurs légaux, ainsi qu’aux 12-14 ans, s’ils obtiennent le feu vert de la justice.

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L’Espagne rejoint ainsi les quelques pays au monde autorisant l’autodétermination du genre via une simple déclaration, à l’image du Danemark, premier pays à avoir accordé ce droit en Europe aux personnes transgenres en 2014. « Aujourd’hui, nous avons fait un pas de géant » en reconnaissant la « libre détermination de l’identité de genre », a lancé la ministre Podemos de l’Egalité Irene Montero, en défendant une loi qui « dépathologise » les personnes transgenres.

Le débat sur la dysphorie de genre, c’est-à-dire la détresse causée par une inadéquation entre le sexe biologique et le genre auquel s’identifie une personne, a pris de l’ampleur dans de nombreux pays ces dernières années avec l’accroissement des demandes de transition, notamment chez les mineurs.

Recul de certains pays par « prudence »

Mais l’adoption de cette loi en Espagne survient au moment où plusieurs pays, dont certains étaient jusque-là en pointe sur le sujet, freinent. En Suède, les autorités ont ainsi décidé voilà un an de mettre fin à l’hormonothérapie pour les mineurs, sauf dans de très rares cas, invoquant la nécessité de faire preuve de « prudence ». Elles viennent par ailleurs de restreindre drastiquement le recours à l’ablation des seins chez les adolescentes.

En Suède, les traitements hormonaux sur mineurs désormais réservés à la recherche

En 1972, la Suède était le premier pays au monde à reconnaître la « dysphorie de genre ». Cinq décennies plus tard, en février 2022, la direction nationale de la santé et des affaires sociales à Stockholm a publié de nouvelles recommandations, pour les mineurs. Estimant que « les risques d’un traitement hormonal inhibant la puberté et affirmant le genre pour les moins de 18 ans l’emportent actuellement sur les avantages possibles pour le groupe dans son ensemble », elle appelle à faire preuve de « retenue ». Des hormones pourront toujours être administrées aux mineurs, mais uniquement « dans le cadre de la recherche ».

Cette décision intervient alors que le nombre de diagnostics de dysphorie de genre a explosé ces dernières années, notamment chez les ados de 13 à 17 ans nées filles, où la hausse a atteint 1 500 % entre 2008 et 2018. En mai 2021, l’hôpital pédiatrique Astrid Lindgren, à Stockholm, a décidé de limiter les traitements hormonaux aux études cliniques, arguant que les « connaissances sur les effets de long terme manqu[aient] ».

En Finlande, une décision similaire a été prise dès 2020 sur l’hormonothérapie, tandis qu’en France, l’Académie de médecine a appelé à « une grande prudence médicale » dans le traitement des jeunes patients et à « la plus grande réserve » sur les traitements hormonaux.

Enfin, le Royaume-Uni a bloqué le mois dernier une loi écossaise sur les droits des transgenres, similaire à celle de l’Espagne, adoptée fin décembre par le parlement d’Edimbourg au terme de vifs débats. Cet épisode a fragilisé la première ministre écossaise Nicola Sturgeon, qui a annoncé mercredi sa démission, après une vive controverse née de l’incarcération dans une prison pour femmes d’une femme transgenre condamnée pour avoir violé deux femmes avant sa transition.

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Farouche opposition de la droite

En Espagne, la loi « trans » a suscité une opposition farouche de la droite. « Nous ne sommes pas ici pour faire des expériences avec les gens (…) Nous voyons des pays qui font machine arrière parce qu’ils voient désormais qu’ils se sont précipités, ce qui a provoqué beaucoup de souffrance. Ne faisons pas la même chose », a insisté jeudi Maria Jesus Moro, députée du Parti Populaire.

Mais ce texte a aussi provoqué de profondes divisions au sein de la gauche et du mouvement féministe, alors que le pays se prépare à des élections générales en fin d’année. Le texte a été ardemment défendu par Podemos et par la plus grande organisation LGBT d’Espagne, FELGBTI+, qui espère, selon sa présidente Uge Sangil, que cette loi « encouragera d’autres pays à suivre » l’« exemple » espagnol.

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Mais d’autres voix, dissonantes, se sont fait entendre à gauche, certaines féministes jugeant que la notion d’autodétermination du genre mettait en péril des décennies de combat pour l’égalité des sexes. « Revendiquer le genre comme étant au-dessus du sexe biologique (…) me semble être un recul », a ainsi dénoncé l’ex-numéro deux du gouvernement Sánchez, Carmen Calvo.

Les socialistes ont tenté d’amender le texte pour étendre l’obligation d’un feu vert de la justice aux 14-16 ans mais n’ont pas trouvé assez de soutiens au Parlement. « Ouvrir cette porte » de la transition de genre « sans aucune restriction aux enfants me paraît précipité » et « très dangereux », a commenté pour sa part Reem Alsalem, rapporteure spéciale de l’ONU sur la violence contre les femmes, dans une interview au quotidien madrilène El Mundo.

Vote d’un congé menstruel, une première en Europe

Le même jour, les députés espagnols ont voté définitivement, par 185 voix contre 154 et 3 abstentions, une loi créant un « congé menstruel » pour les femmes souffrant de règles douloureuses, une mesure inédite en Europe. « C’est un jour historique pour les avancées féministes », a lancé sur Twitter la ministre de l’Egalité Irene Montero, membre de Podemos.

La durée de l’arrêt maladie que pourront accorder les médecins aux femmes souffrant de règles douloureuses n’a pas été précisée dans la nouvelle loi.

Le Monde avec AFP



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