l’inquiétant fossé entre le régime et la population

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« Un triomphe », un « raz de marée », a applaudi la presse officielle en Algérie en saluant la réélection, samedi 7 septembre, d’Abdelmadjid Tebboune. La victoire du président sortant, un pur produit du système, ancien préfet puis ministre, âgé de 78 ans, était censée consolider un régime sorti ébranlé du soulèvement pacifique du Hirak de 2019-2020. Elle était supposée redonner une boussole à un pouvoir qui avait perdu toute direction, désarçonné autant par les mutations de la société algérienne que par un environnement régional en pleine recomposition stratégique. Il n’est pas acquis que le score de 94,65 % de voix attribué à M. Tebboune suffise à masquer la fragilité de l’opération.

Non seulement ce taux de type soviétique réveille de funestes souvenirs, ceux des régimes verrouillés de jadis, mais l’imbroglio qui a suivi l’annonce des résultats jette ouvertement le doute sur la sincérité de l’exercice. La commission électorale a en effet avancé un mystérieux chiffre de participation de 48,03 %, alors même que le rapport entre le total des suffrages exprimés (5,63 millions) et le corps électoral (24,35 millions) fait apparaître un taux de 23 %, soit un pourcentage deux fois plus faible.

La distorsion est tellement flagrante que les directeurs de campagne des trois candidats en lice – Tebboune lui-même, Abdelaali Hassani, du Mouvement de la société pour la paix (islamo-conservateur), et Youcef Aouchiche, du Front des forces socialistes (démocrate à forte implantation kabyle) – ont conjointement dénoncé des « contradictions » et des « irrégularités » à propos des chiffres publiés par la commission électorale. M. Hassani est même allé jusqu’à évoquer une « mascarade ».

Le rouleau compresseur de la realpolitik

Si le débat autour de la participation est si crucial, c’est que celle-ci est la jauge de la légitimité du président réélu. En 2019, à peine 39 % des électeurs algériens s’étaient déplacés. Or, cinq ans plus tard, la désaffection semble s’être aggravée, avec un taux de participation chutant à 23 %. La réalité qu’un tel désengagement renvoie, celle d’une population rétive à cautionner un scrutin scellé à l’avance, est à l’exact opposé du récit officiel sur « l’unité retrouvée du pays autour d’un leader capable de conduire l’Algérie vers l’avenir », selon le dithyrambe du quotidien L’Expression.

Comme de coutume, le rouleau compresseur de la realpolitik va s’employer à occulter doutes et interrogations. A l’étranger, les félicitations affluent déjà, notamment celles d’Emmanuel Macron, qui adresse à M. Tebboune ses « meilleurs vœux de succès ». On est très loin de la réaction froide du président français, qui s’était contenté de « prendre note » de la première élection de M. Tebboune en 2019. Il est vrai qu’il s’agissait d’une autre époque, celle de l’effervescence du Hirak, avant que la répression ne l’étrangle.

Alors qu’une nouvelle brouille s’installe entre Paris et Alger, à la suite du revirement français promarocain sur le Sahara occidental, M. Macron va sûrement redoubler de sollicitude à l’endroit de M. Tebboune. On ne saurait reprocher à Paris de tout faire pour améliorer les relations entre les deux côtés de la Méditerranée. Mais il faut aussi savoir que l’opinion publique algérienne observe ce théâtre d’amabilités diplomatiques avec amertume, dépitée de voir que les raisons d’Etat coalisées ignorent si aisément sa propre voix.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Entre la France et l’Algérie, l’histoire d’une éternelle rechute

Le Monde

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