Lucien George, ancien journaliste du « Monde », est mort

Lucien George.

La guerre venait du fond du couloir, là où étaient les telex au journal, rue des Italiens (19arrondissement) au cinquième étage, territoire du service International. On était souvent à quelques minutes du bouclage. On attendait « le Lucien George », le papier de notre correspondant à Beyrouth. C’était le temps des guerres libanaises (1975-1990). N’étaient les roquettes des uns et les missiles des autres, « le Lucien George » arrivait toujours. Juste à l’heure. Telex en morceaux séparés au gré des pannes d’électricité dans la capitale libanaise.

Lucien George est mort à Beyrouth, vendredi 17 février, des suites d’un cancer, à l’âge de 85 ans. Il était libanais, ce que son nom ne dit pas forcément. Libanais, d’abord. Amoureux d’un pays qu’il voyait aujourd’hui se défaire mais dont il refusait de désespérer. Entouré des envoyés spéciaux du Monde, « Lucien » a été, à Beyrouth et ailleurs, l’un des piliers de la couverture moyen-orientale de la fin du XXe siècle.

Il était libanais jusque dans cette aptitude à toujours recommencer, construire, reconstruire, disait-il, lui dont la vie professionnelle fut rythmée par l’alternance de batailles et de moments de paix. Yeux bleu gris, barbe et moustache blanchies au fil des ans, roulant les « r » en arabe comme en français, Lucien George aimait la vie – toute la vie. Rien, bombardements, voitures piégées, massacres, assassinats et autres tragédies politiques, pas même les trois enlèvements dont il fut victime, ni l’atroce explosion dans le port de Beyrouth le 4 août 2020, rien n’entamait l’énergie de cet homme. Lucien George débordait de charme, d’humour et d’intelligence. Il traversait les épreuves comme les check-points – avec une placidité de grand seigneur.

Analytique et nuancé

ll ne fut pas seulement journaliste – trente ans correspondant du « Monde ». Il fut entrepreneur, éditeur, défenseur de la francophonie. L’ancien élève des Ecoles chrétiennes à Tripoli et des Pères jésuites à Beyrouth était à lui seul un morceau de France dans la capitale libanaise.

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Il naît le 28 avril 1937 à Paris, dans une famille chrétienne maronite. Son père, gardien de chèvres de la montagne du Nord-Liban, a fui la famine des années 1915-1916 et fait fortune en Afrique de l’Ouest. Sa mère est d’une famille désargentée de Tripoli mais à la maison on lit Racine, Balzac et Voltaire et on vénère de Gaulle. Etudes de droit, puis, très vite, le journalisme au quotidien francophone L’Orient (qui deviendra L’Orient-Le Jour) dont il sera le directeur à 33 ans. A l’aube des guerres libanaises, au mitan des années 1970, il est aussi le correspondant du Figaro et du Nouvel Observateur – et ses articles sont repris par Le Soir de Bruxelles et l’italien La Repubblica, parmi d’autres journaux européens.

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