« Ne restent que la peur et la folie guerrière »

Marina Ovsiannikova, dans les locaux de Reporters sans frontières, à Paris, le 14 février 2023.

La vie de Marina Ovsiannikova, 44 ans, bascule le 14 mars 2022, lorsque cette employée de Perviy Kanal (« première chaîne »), à la télévision russe, prend son courage à deux mains et brandit, à l’antenne, une pancarte où sont inscrits les slogans pacifistes : « Non à la guerre/Ne croyez pas la propagande/Ici on vous ment ». Dans sa patrie, elle dégringole instantanément au rang de paria. En Europe, par effet de ricochet, on acclame ce geste de résistance au bellicisme poutinien, aussi démonstratif que rare. Sans voir qu’en Ukraine et dans une partie de l’opposition russe, beaucoup doutent de sa sincérité, voire subodorent un stratagème visant à réhabiliter les Russes.

La réalité de la persécution orchestrée par le régime poutinien contre Marina Ovsiannikova est indéniable. « Dès que vous commencez à manifester, vous perdez tout, vous perdez votre travail, vous perdez votre maison, vous perdez votre famille. Vous n’imaginez pas à quel point il est facile de détruire moralement et psychologiquement », raconte la journaliste russe au Monde, dans les locaux parisiens de Reporters sans frontières. L’ONG l’a exfiltrée de Russie en octobre 2022, alors qu’elle attendait en résidence surveillée, bracelet électronique à la cheville, son procès pour « diffamation de l’armée russe », une accusation passible de quinze ans de prison.

Surmontant sa peur et d’innombrables obstacles, la journaliste est parvenue, avec sa fille de 12 ans, à franchir clandestinement la frontière russe vers un pays européen qu’elle refuse de nommer. « Je me sens en sécurité en France », dit-elle à toute vitesse, rongée par le stress, en veillant à ne donner aucun détail sur sa vie française, notamment sur l’éducation de sa fille, « parce que la propagande russe peut utiliser n’importe quel prétexte pour me vilipender de nouveau ».

« Faire l’autruche »

Son ex-mari, un dirigeant de la chaîne de propagande Russia Today, a tenté de la priver de ses droits parentaux. « Mon fils de 17 ans est resté vivre avec son père, indique-t-elle. Ma propre mère me considère comme sa pire ennemie ! J’ai osé m’opposer à Poutine, qui a le même âge qu’elle. Elle pense que je devrais être emprisonnée. Elle veut que Poutine restaure l’Union soviétique. »

N’est-ce pas le résultat de la propagande télévisée, dont elle fut l’une des petites mains au cœur de Perviy Kanal ? Evitant d’aborder frontalement sa responsabilité, Mme Ovsiannikova finit par admettre « avoir fait l’autruche, pour [me] construire un monde confortable. De toute façon, il ne restait pas de chaîne de télévision libre, et pour continuer à travailler, il me fallait me compromettre avec le système. Je n’ai pas cherché à faire carrière ces dernières années. Je me suis juste laissée porter par le courant. »

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