Que restera-t-il du jeudi 19 janvier ? A l’issue de ce round d’observation, chacun des protagonistes faisait les comptes, les syndicats revendiquant un immense succès, avec « plus de deux millions » de manifestants (pour la CGT), tandis que le ministère de l’intérieur en comptait 1,12 million. Mais, au-delà du jeu de rôle consubstantiel au théâtre social, les deux parties s’accordaient sur l’incontestable réussite de cette journée de mobilisation – plus forte qu’attendue –, orchestrée par un front syndical uni, une première depuis douze ans. Et après ?
Les syndicats ont appelé à une deuxième journée d’action le 31 janvier. « Ce n’est que le début », prédit-on à gauche. Reste que, depuis 2006 et le contrat première embauche (CPE) de Dominique de Villepin – la loi avait été votée, puis retirée –, aucun cortège n’a réussi à faire plier le pouvoir. « Il faut éviter un one shot lié à un “perdu d’avance” », s’inquiétait mercredi soir le député de l’Essonne Jérôme Guedj (Parti socialiste). A Matignon, on relevait que si le nombre de manifestants a été plus important qu’en 2019, le nombre de grévistes a été plus faible.
Ces jours-ci, Emmanuel Macron et Elisabeth Borne ont transmis des consignes de sobriété aux ministres, afin d’éviter les provocations dans ce climat incertain. Il faudra s’y tenir, y compris – et surtout – si le mouvement social donne des signes d’essoufflement dans les semaines à venir. Car, au sein de la majorité – où l’on redoute par-dessus tout des mobilisations spontanées, non contrôlées par les syndicats –, on juge capital de ne pas « humilier » les organisations, la CFDT en particulier.
Crainte d’une « colère sourde »
Mais que reste-t-il à concéder ? Si la première ministre a indiqué que le texte n’était pas figé, de quelle marge de manœuvre dispose-t-elle, alors que de nombreuses concessions ont déjà été faites, notamment sur les carrières longues, sur la pénibilité et sur la retraite minimum ? « Le temps du débat au parlement va débuter, et le texte pouvoir être enrichi », assure un conseiller de l’Elysée, tandis que, à Matignon, on laisse entendre que tout a été « mis sur la table » d’emblée et qu’il n’y a plus de grain à moudre.
Dans cette délicate équation, reste l’opinion. Les Français sont opposés au projet, à une écrasante majorité. Continueront-ils à accompagner le mouvement dans la durée, comme en 1995, où beaucoup avaient fait grève par procuration ? Au sommet de l’Etat, où l’on assure que « M. et Mme Tout-le-Monde » ne se sont guère mêlés à des cortèges « à forte dominante syndicale », on mise plutôt sur la résignation des Français, fatigués par des crises successives (des « gilets jaunes » au Covid-19) et absorbés par le quotidien et des fins de mois difficiles.
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