« Pourquoi les usines de munitions d’Europe ne tournent-elles pas à plein régime ? »

Stupeur, lundi 13 février, à la veille d’une réunion des ministres de la défense de l’OTAN. Le secrétaire général de l’Alliance atlantique, Jens Stoltenberg, placide Norvégien peu connu pour ses déclarations tonitruantes, ose devant la presse un aveu qui fait très mal, en pleine guerre en Ukraine : l’Europe est à court de munitions.

La situation est dramatiquement simple. L’armée ukrainienne tire 5 000 à 6 000 obus d’artillerie par jour, les forces russes quatre fois plus. Il faut faire parvenir en Ukraine « des capacités-clés, comme les munitions » avant que la Russie ne prenne le dessus sur le champ de bataille. C’est une course contre la montre, souligne Jens Stoltenberg. Problème : le taux de consommation de munitions par l’Ukraine « est plusieurs fois supérieur à notre taux de production actuel ». « Oui, on a un défi, reconnaît-il. Oui, on a un problème. » Heureusement, « on a une stratégie pour y faire face ». Soulagement ?

Pas vraiment. Car si les citoyens européens peuvent être frappés de stupeur en entendant que leurs armées n’ont pas de stocks de munitions, leurs ministres et leurs militaires, eux, le savent très bien – et depuis longtemps. C’était l’un des secrets les mieux gardés de la défense européenne. Jusqu’au 24 février 2022, où l’on a commencé à se dire qu’on allait peut-être en avoir besoin, puisque la guerre de « haute intensité », livrée par une grande puissance, était de retour sur le continent.

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Sous le choc, le général Alfons Mais, chef d’état-major de l’armée allemande, avertissait le jour même d’une phrase terrible qu’il allait lui être très difficile de venir en aide au pays agressé : « La Bundeswehr, l’armée que l’on m’a chargé de commander, est à peu près nue. » Aucun de ses collègues européens n’a eu la même franchise. Personne n’ignorait que l’Allemagne avait tellement négligé ses dépenses de défense que même ses fameux chars étaient incapables de rouler ; c’était donc forcément mieux ailleurs, et notamment en France, première puissance militaire de l’Union européenne.

Trente ans de réduction budgétaire

En réalité, un peu partout en Europe – sauf dans les pays que la géographie et l’histoire avaient rendus très méfiants à l’égard de la Russie – trente ans de réduction des budgets de défense depuis la fin de la guerre froide avaient vidé les casernes, les hangars et les étagères. Grâce aux « dividendes de la paix », l’argent public pouvait être consacré à autre chose. Cette logique, aggravée par la crise financière de 2008, a conduit à sabrer les stocks ; c’était la coupe la plus facile à opérer. En France, pendant la première décennie 2000, les armées « sont passées du stock au flux tendu », relève Léo Péria-Peigné, auteur de l’étude « Stocks militaires : une assurance-vie en haute intensité ? », publiée en décembre 2022 par l’Institut français des relations internationales.

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