La question de l’emploi des seniors est revenue sur le devant de la scène avec la réforme des retraites du gouvernement, prévoyant le report de l’âge légal de départ à 64 ans. Alors que le taux d’emploi des 55-64 ans est en France en deçà de la moyenne européenne, la mise en place d’un « index seniors » en entreprise est l’un des points de crispation des débats à l’Assemblée nationale, où le texte est actuellement discuté en première lecture.
Selon le gouvernement, ce dispositif doit permettre, à terme, d’inciter à employer plus de salariés plus âgés. Mais tandis que le Mouvement des entreprises de France (Medef) s’y oppose frontalement, les députés d’opposition, notamment de la Nupes, ainsi que les syndicats de salariés, jugent qu’il est insuffisant.
Voici ce que l’on sait de cet outil, tel qu’il a été détaillé par le gouvernement et à ce stade amendé par les députés, avant son vote en première lecture.
• Une publication d’indicateurs sur l’emploi des seniors
Construit à l’image de l’index « égalité professionnelle » mis en place depuis 2019, cet « index seniors » vise à obliger certaines entreprises à publier chaque année des indicateurs de suivi relatifs à l’emploi des salariés seniors dans l’entreprise ainsi qu’aux actions mises en œuvre pour favoriser cet emploi. Il doit permettre à terme de fournir des clés de lecture pour améliorer l’emploi des seniors en France et en suivre la progression.
Lors de l’examen en première lecture de l’article 2 du projet de loi, prévoyant sa mise en place, les députés ont adopté un amendement visant à ce que cet index soit « genré ». Cela signifie que les entreprises devront publier en plus de manière distincte les chiffres relatifs à l’emploi des seniors femmes et hommes, afin de constater plus nettement les inégalités de genre en fin de carrière.
Au cours des débats, les oppositions ont par ailleurs fustigé l’absence de bornes explicites au dispositif, comme la non-mention d’un âge seuil pour qualifier un employé de senior ou le non-détail des indicateurs que devront publier les entreprises. Le gouvernement a toutefois précisé que ces derniers seront définis par décret « après concertation » avec les partenaires sociaux, avant que leur liste soit « adaptée » par branche professionnelle.
• Une obligation pour les entreprises de plus de cinquante salariés
Si le projet de loi est adopté avant cet été, comme le souhaite le gouvernement, la publication de cet « index seniors » sera obligatoire à compter du 1er novembre 2023, pour les entreprises de plus de 1 000 salariés, et dès le 1er juillet 2024 pour celles comptant plus de cinquante salariés, au lieu du seuil de 300 salariés d’abord prévu par le gouvernement.
Le camp présidentiel a en effet été poussé par les oppositions à élargir le rayon des entreprises concernées. Dans un geste d’ouverture, il s’y est déclaré favorable dès les prémices du débat parlementaire, par la voix du ministre du travail, Olivier Dussopt, et de la première ministre, Elisabeth Borne. L’Assemblée a ensuite voté plusieurs amendements identiques déposés en ce sens par les oppositions et la majorité, lundi 13 janvier.
• Une sanction financière en cas de manquement
Les employeurs qui ne se plient pas à cette obligation de publication se verront imposer une sanction financière : ils devront verser une « contribution assise sur un pourcentage de la masse salariale », dans une limite fixée à 1 %, et dont le produit sera reversé à Caisse nationale d’assurance-vieillesse (CNAV).
A terme, les entreprises où l’emploi des seniors ne progresse pas feront par ailleurs l’objet d’une « obligation renforcée de négociation d’un accord social » afin d’améliorer la situation sur l’emploi des seniors en leur sein.
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Pour la gauche et pour une partie de la droite, l’absence de mesures plus coercitives pour les entreprises ne donne guère de crédit à l’outil. Lors des débats dans l’hémicycle, les députés de la Nupes ont ainsi fustigé un index qui en l’état « ne sert à rien », à l’image de la députée « insoumise » Clémence Guetté, ou encore du député Les Républicains Thibault Bazin, qui s’est dit « sceptique » sur son utilité.
• Un dispositif jugé insuffisant par les syndicats
Les organisations syndicales salariales, toutes opposées à la réforme des retraites, estiment aussi que cet index, sans être suivi de lourdes sanctions financières pour les entreprises, ne sera pas suivi d’effets réels pour améliorer l’emploi des seniors.
Selon Philippe Martinez, secrétaire général de la Confédération générale du travail (CGT), « ce n’est pas un index qui va faire peur au patronat, qui, tous les ans, licencie des centaines, des milliers de salariés qui ont plus de 57 ou 58 ans ». « Il y aura le constat [posé grâce au dispositif] et on fera quoi ? (…) Il n’y a pas de sanctions », a pour sa part déploré le secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), Laurent Berger. « C’est un petit écran de fumée », a renchéri François Hommeril, à la tête de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC).
Face à ces critiques, le gouvernement s’est dit prêt à aller plus loin sur le degré des sanctions infligées aux entreprises en cas de manquement. Aurore Bergé, la présidente du groupe Renaissance, a affirmé « ne pas avoir de tabou » en cas de « mauvais résultats » sur l’emploi des seniors, le 17 janvier. « S’il faut aller plus loin sur les contraintes sur les entreprises, [avec la mise en place d’un système] de bonus-malus, tout ça est ouvert à la discussion. En tant que parlementaires, on prendra nos responsabilités », a-t-elle ajouté.
Olivier Dussopt a appuyé cet argumentaire deux jours plus tard, arguant que l’évolution de cet index « est un sujet qui va être posé dans le débat parlementaire ». Pour l’heure, alors que l’article 2 est encore en cours de discussion à l’Assemblée, aucune mesure coercitive supplémentaire n’a été adoptée.
• Le Medef opposé « au principe » de cet index
Du côté du patronat, le Medef, qui soutient pourtant l’essentiel de la réforme des retraites, n’a de cesse de répéter son opposition « au principe de cet index ». « Nous craignons que l’outil proposé par le gouvernement soit durci pendant les débats au Parlement et impose de lourdes contraintes aux entreprises », dont de plus lourdes « sanctions financières », a fait savoir au Monde son président, Geoffroy Roux de Bézieux, mi-janvier.
Ce dernier y voit aussi le risque d’une non-prise en compte des réalités de terrain, donnant ces derniers jours plusieurs fois l’exemple d’« une entreprise qui embauche beaucoup d’apprentis et voit donc mathématiquement son pourcentage de seniors se réduire », et qui serait « classée comme mauvaise » au regard d’un tel index.