
Ce chaos ! Ce désastre ! Et cette colère qui monte, ronge et ajoute de la haine à l’infinie tristesse. Antakya la belle n’est plus que poussière et cendres, détritus et puanteur, douleur, rancœur. « On ne peut rien contre la nature, dit Cemal, un professeur de biologie arrivé d’Ankara au lendemain du séisme qui a frappé la Turquie et la Syrie lundi 6 février, pour chercher son fils dans les gravats de ce qu’il croyait être l’immeuble le plus luxueux et le plus sûr de la ville. La terre a ses humeurs, ses mouvements, ça nous échappe et c’est normal. En revanche, on peut s’en protéger par des lois adéquates, strictement appliquées. Notre gouvernement, hélas, fait passer l’électoralisme et la rapine avant l’intégrité. Je le tiens pour responsable de cette calamité. »
Il se tient droit, jambes écartées, mains dans les poches, face aux ruines de la résidence, une barre horizontale de douze étages, deux cent cinquante logements, près de mille habitants. Un immeuble de luxe, construit il y a tout juste dix ans, avec hall de réception, parking privé, piscine, jardin d’enfants, et un nom flamboyant : Rönesans (Renaissance). « Un coin de paradis », vantait la publicité, en insistant sur ses performances antisismiques. « Quelle escroquerie ! », lâche le professeur. « Nos chercheurs, ingénieurs, sismographes ont tiré des enseignements des tremblements de terre passés. On a créé de nouvelles normes de construction, elles ont été bafouées. On a voté des lois pour condamner les constructeurs véreux, on les a amnistiés. Eh bien voilà le résultat ! »
Il parle fort. Et cela paraît un soulagement à tous ceux qui l’entourent, qui n’osent s’exprimer, et ravalent leur colère. Enfin la vérité ! Ils auraient tant besoin d’un porte-parole, eux qui ont perdu parents, enfants, frères, sœurs, amis, dans cet immeuble brisé. Comme Cemal, le professeur, ils ont passé les cinq ou six nuits précédentes dans leur voiture, ou sous les oliviers d’un petit jardin proche, par zéro degré, sans eau, sans électricité, sans sanitaires. Et, comme lui, ils ne pourront se résoudre à partir tant qu’ils n’auront pas reçu de nouvelles de leurs proches.
« Où sont-ils ? »
Près de cent cinquante personnes ont réchappé des ruines, une cinquantaine de corps ont été retrouvés, quid des huit cents autres ? « Où sont-ils ?, demande Aysil, une jeune femme accourue pour rechercher sa sœur, son beau-frère, leur bébé. Pourquoi cette négligence ou ces mystères ? Pourquoi ce retard et ce manque d’efficacité dans les recherches ? Toutes les équipes internationales devraient être mobilisées sur cet immense chantier. Mais non. Alors que huit cents personnes ont disparu, les secours turcs gardent la mainmise, et leur façon d’organiser les fouilles est incompréhensible. Quel mépris pour nous tous ! »
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