Que disent de nous les récits des débuts de l’humanité ? Y en a-t-il vraiment de plus « rationnels » que d’autres ? Wiktor Stoczkowski, anthropologue, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess), tente d’y répondre dans l’ouvrage A La Recherche d’une autre Genèse. Anthropologie de l’« irrationnel » (La Découverte, 460 pages, 15 euros).
A travers notamment l’étude d’un mythe en apparence ubuesque, celui des Anciens astronautes – qui connaît une popularité nouvelle depuis la diffusion de la série à succès Ancient Apocalypse, sur Netflix –, l’ouvrage ambitionne de poser « les bases d’une anthropologie des savoirs occidentaux, nécessaire pour comprendre non seulement les idées “irrationnelles” qui offensent notre sens commun, mais aussi celles que nous tenons pour emblématiques de la rationalité ».
Comment en êtes-vous venu à étudier les mythes sur les origines de l’humanité ?
L’anthropologie est souvent définie comme une étude comparative de toutes les sociétés, y compris la nôtre. Les traits culturels récurrents se prêtent particulièrement bien à cette démarche comparative. Il en est ainsi des « récits des origines », qui expliquent la genèse des hommes et l’émergence de la culture humaine. On les retrouve dans toutes les sociétés et à toutes les époques.
En Occident, ce rôle fut pendant longtemps réservé au récit de la Genèse biblique, avec son idée de la création divine, du péché originel et de l’expulsion du jardin d’Eden. Au XVIIIe siècle, des philosophes se sont efforcés d’y substituer des conceptions basées sur des déductions raisonnées, indépendantes de la doctrine révélée et souvent en contradiction flagrante avec l’autorité de la Bible, comme dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778).
Au XIXe siècle, les préhistoriens prennent le relais des philosophes, proposant une conception inédite de l’origine de l’homme, nourrie de vestiges archéologiques nouvellement découverts.
Pour l’anthropologue, il est intéressant de retracer cette évolution intellectuelle et d’en comprendre les enjeux : cela permet de comparer notre manière de concevoir les origines à celles qui existent ou existaient jadis, dans les autres traditions culturelles. Mais il y a plus : cela incite aussi à ne plus reléguer les conceptions spéculatives des origines dans la catégorie imprécise de l’« irrationnel », réputé illogique, imprévisible et pathologique.
L’anthropologie cherche à découvrir les règles, parfois très strictes, que chaque culture définit pour établir ses propres critères de rationalité. Dans ce livre, j’ai essayé de montrer qu’une anthropologie de l’« irrationnel » est pensable, car il est possible de reconstituer les règles d’une rationalité singulière qui sous-tend des conceptions en apparence anarchiques.
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