Durant ces cinquante dernières années, on est passé d’une situation où 3 élèves sur 4 n’accédaient pas à l’enseignement secondaire, à celle où, aujourd’hui, tous les élèves y entrent, y restent au moins cinq ans et obtiennent, pour près de 90 % d’entre eux, un baccalauréat qui ne garantit rien en termes de culture partagée et de formation professionnelle.
On comprend bien qu’une telle révolution a brutalement et profondément transformé la composition sociale et l’identité culturelle de la population scolaire. Lorsque s’est levée la barrière d’une sélection, qui était certes profondément injuste et cruelle, un nombre considérable d’enfants, auparavant écartés, se sont trouvés précipités dans un système qui n’était pas conçu pour eux. Il eût donc fallu que cette école se transformât en profondeur dans ses contenus, sa pédagogie, la formation de ses maîtres et ses finalités professionnelles. Elle est en fait restée quasiment identique à elle-même. Le résultat est aujourd’hui le suivant : si l’école a réussi sa massification, elle a raté sa démocratisation, et sa vertu de résilience s’est affaiblie année après année.
Dans nos classes, près de 15 % des élèves possèdent un vocabulaire exsangue à l’entrée au CP ; ils acquièrent quelques aptitudes au déchiffrage des mots à 8 ans alors qu’ils devraient comprendre des textes d’une quinzaine de lignes ; ils parviennent difficilement à repérer quelques informations ponctuelles à 12 ans quand on attendrait qu’ils soient des lecteurs autonomes capables de lire avec autant d’efficacité un conte merveilleux, un énoncé de mathématique ou un texte scientifique.
« Inventer un système de “sauvetage” »
Brutalement livrés à eux-mêmes face aux exigences disciplinaires du collège, ces élèves vont alors vivoter pendant trois ou quatre ans en ne tirant aucun parti de leurs études secondaires ; l’institution les passera par pertes et profits. L’école primaire les a maintenus en survie sans vraiment parvenir à les remettre à niveau ; le collège les achève.
Certains sont orientés vers des filières professionnelles, non parce qu’ils ont envie d’exceller dans un métier manuel mais parce qu’on leur a dit qu’ils n’étaient bons qu’à cela. Tant que nous accepterons que l’échec, très tôt programmé, des « mal-nés » débouche naturellement sur l’enseignement technique et professionnel, nous marquerons ce dernier au fer de la honte et de la frustration.
« L’heure est venue de faire un choix entre une école de complaisance et de faux-semblants et une école de résilience et de justice »
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