
L’Assemblée nationale avait rejeté, en janvier 2022, une proposition de loi portée par Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise), qui visait à bloquer les prix de l’énergie et de cinq fruits et légumes de saison. La majorité macroniste avait alors jugé qu’il s’agissait d’« une mauvaise réponse à une bonne question ».
Un an plus tard, la ministre déléguée au commerce, Olivia Grégoire, propose une idée assez similaire : un dispositif anti-inflation pour « que les Français puissent avoir sur un panier du quotidien des prix attractifs ». Alors que les prix de l’alimentaire ont grimpé de 13 % sur un an en janvier, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), la grande distribution multiplie les opérations, et certaines grandes enseignes ont devancé les souhaits du gouvernement. Mais est-il possible de bloquer administrativement, pour toute la France, les prix de certains produits de consommation courante ? Avec quels gains pour les consommateurs ? Et quels effets collatéraux ?
Que contiendrait ce panier ?
Le projet est de proposer, à partir du mois de mars et jusqu’à juin, « une petite cinquantaine de produits du quotidien qui correspondrait aux besoins d’une famille avec enfants », a annoncé, à la fin de janvier, Mme Grégoire. Ces produits devraient se répartir en cinq catégories (hygiène, propreté, épicerie, surgelé et frais). Ils comprendraient cinq fruits et légumes, dont trois bio, deux féculents, de la viande rouge ou blanche dont au moins une labellisée, du poisson, des produits d’hygiène… mais ni alcool ni confiserie, selon Le Parisien.
Chaque enseigne serait libre de participer ou de se retirer quand elle le souhaite et définirait pour chaque « unité de besoin » l’article de son choix, y compris avec ses propres marques distributeurs. Elle s’engage, précise Le Parisien, à respecter « un prix maximal national » (susceptible d’évoluer toutefois), à communiquer aux clients une liste des éléments du « panier » et à les identifier par un logo en rayon.
Est-ce possible de bloquer les prix ?
Selon le code du commerce, seules « une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé » autorisent une intervention de l’Etat, comme ce fut le cas avec les masques et le gel hydroalcoolique pendant la crise du Covid-19.
Il existe quelques exceptions supplémentaires. En outre-mer, la loi Lurel a introduit, après les émeutes contre la vie chère, en 2012, un « bouclier qualité prix » (BQP), négocié chaque année sous l’égide des préfectures d’outre-mer, qui bloque le montant d’un panier de première nécessité. Ce ne sont pas les prix de chaque produit qui sont plafonnés, mais celui du panier : le tarif d’un paquet de riz fluctue d’une enseigne à l’autre, mais la liste totale du BQP, censée être disponible chez tous les commerçants, ne coûtera pas plus qu’une somme définie (variable selon les départements).
Le blocage des prix existe aussi sur tout le territoire français pour certains secteurs réglementés, qu’il s’agisse de les taxer ou de les protéger : tabac, médicaments, taxis, livres, etc. Pour tous les autres secteurs, ce sont des prix libres qui régissent le marché depuis 1986.
Depuis cette date, la loi a mis fin à un demi-siècle de prix administrés et à une « économie d’après-guerre, fermée vis-à-vis de l’extérieur, marqué par la pénurie et la nécessité d’organiser la reconstruction », décrit Laurent Warlouzet, professeur d’histoire à l’université Paris-Sorbonne. Elle s’inscrit dans le cadre de la libre circulation des marchandises dans l’Union européenne, qui garantit une concurrence entre les Etats membres et interdirait, dans le cas présent, de fixer des prix trop bas, qui limiteraient les importations intra-européennes.
Quels seraient les gains pour le consommateur ?
Si le dispositif doit entrer en vigueur en mars, ce n’est pas un hasard : c’est le moment où s’achèvent les négociations des enseignes avec les industriels, qui demandent des revalorisations importantes en raison de la flambée des prix des matières premières et de l’énergie cette année. L’objectif, selon le cabinet ministériel d’Olivia Grégoire, est d’anticiper un « mars rouge » avec un « panier refuge ».
Un tel blocage a-t-il une efficacité ? Pour le bouclier énergétique (gel des tarifs réglementés du gaz et de l’électricité, remise carburant, etc.), l’Insee a calculé qu’il avait permis de réduire de moitié l’effet de la flambée des prix de l’énergie sur l’inflation entre les deuxièmes trimestres de 2021 et 2022. Mais pour éviter que les fournisseurs vendent à perte (ce qui est interdit), l’Etat finance la différence entre ce que paie le fournisseur sur les marchés de gros et le prix auquel il revend.
Le Monde
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Comme il est plus aisé de donner un coup de pouce aux ménages que de leur retirer, le dispositif pourrait perdurer, en dépit de son coût – 46 milliards d’euros pour 2023, selon les derniers décomptes de Bercy, après 30 milliards en 2022. L’exécutif, qui espérait parvenir à cibler ses aides vers les plus modestes, y a renoncé pour 2023. Et le volet fiscal du bouclier pourrait être conservé jusqu’en 2027, selon le rapport du sénateur Les Républicains Jean-François Husson.
Quels seraient les risques d’un blocage des prix ?
Censé aider les plus modestes, durement frappés par l’inflation, le blocage des prix n’est pas forcément bien ciblé. Il risque de favoriser les plus riches, qui auraient pourtant les moyens d’assumer des hausses de prix, et qui profitent alors d’un effet d’aubaine. L’institut Astérès a ainsi calculé, en prenant l’hypothèse d’un blocage au 1er janvier 2022 des prix de l’énergie et d’un panier de biens de consommation courante, que le gain de pouvoir d’achat annuel était deux fois plus élevé pour les plus riches que pour les plus pauvres (821 euros pour les 10 % les plus aisés, et 328 euros pour les 10 % les plus modestes).
« Soit on prend des mesures générales, et alors tout le monde en profite, soit on veut vraiment prendre en compte les conditions de vie des personnes et alors le bon instrument n’est pas le blocage des prix, mais l’impôt », résumait Sandra Hoibian, directrice générale du Crédoc, dans Le Monde, en mai 2022.
Par ailleurs, tout encadrement des prix nécessite un arbitrage pour éviter le risque de pénurie. D’un côté, une offre trop faible et les rayons restent vides : en 2020, le gouvernement a ainsi dû relever les prix maximaux des gels hydroalcooliques préparés en pharmacie. Fixés à l’origine pour éviter une flambée des tarifs, ils ont été jugés trop bas par les pharmaciens qui dénonçaient des coûts excessifs de fourniture en matière première. De l’autre côté, une demande trop forte et les stocks s’épuisent : en novembre 2022, une station sur cinq était en pénurie de carburant juste avant la baisse des ristournes à la pompe.
Plutôt que d’arrêter de produire, un fournisseur peut être tenté de baisser en qualité pour conserver ses marges. Quid des contrôles ? « Dans l’immédiat après-guerre, le choix des produits était limité et le contrôle évident. A partir du développement de la société de consommation de masse, dans les années 1960, l’Etat devait embaucher des armées d’inspecteurs pour contrôler les prix de produits toujours plus nombreux », explique Laurent Warlouzet. Or, depuis une vingtaine d’années, la tendance est à une nette réduction des effectifs de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Pourquoi la grande distribution tarde-t-elle à suivre ?
Avec le panier anti-inflation, la grande distribution va devoir trouver un chemin entre des prix (maximaux) bloqués sur certains produits et des marges obligatoires (minimales) de 10 % sur l’alimentaire, résultat de la loi Egalim, destinée à mieux partager les profits entre distributeurs et producteurs, en premier lieu les agriculteurs – c’est d’ailleurs pour cette raison que le gouvernement parle de produits à prix « presque coûtants ».
Une gageure pour Michel-Edouard Leclerc, président du comité stratégique des centres E. Leclerc : « Nous ne sommes pas contre bloquer les prix. (…) Mais pour que nous puissions le faire dans la légalité, il faut nous aider à négocier auprès des industriels. » Sous-entendu numéro un : retirer cette disposition d’Egalim qui ne permet pas une négociation libre ; sous-entendu numéro deux : il ne sera pas très difficile de négocier avec les agriculteurs, artisans, PME.
« Confier la politique d’aide alimentaire à la grande distribution est tout sauf une bonne idée », ont réagi la Fédération nationales des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et Jeunes agriculteurs. Certes, l’accord devrait mentionner que la baisse des marges bénéficiaires ne devra pas être répercutée en amont, mais sans autre garantie que la bonne foi des distributeurs.
Les petits fournisseurs risquent de se retrouver sous la pression des acheteurs de la grande distribution, surtout si leurs produits sont remplaçables. Pour une marque incontournable ou un produit non substituable (Nutella, Coca-Cola, etc.) , une enseigne est prête à réduire ses marges au minimum afin d’attirer les clients. Pour des fruits, légumes ou pâtes vendues sous marque distributeur, c’est moins sûr.