Mauvais timing ? La fashion week mixte de New York qui a eu lieu du 10 au 15 février a eu bien du mal à exister hors de ses propres frontières, éclipsée par une avalanche d’actualités mode. Le 10 février, la styliste star Phoebe Philo a enfin annoncé son retour aux affaires. Deux jours plus tard, Rihanna, enceinte, enflammait la toile avec sa performance au Super Bowl – il aura beaucoup été question de son total look rouge, siglé des marques européennes Alaïa, Loewe, MM6 x Salomon. Le 14 février, Louis Vuitton a déjoué les pronostics en nommant le chanteur Pharrell Williams comme directeur artistique des collections masculines. Pendant ce temps, la fashion week de New York a déroulé ses 74 défilés et présentations, loin d’être inintéressantes. La preuve par cinq.
Des voiles et des poils
Même pas froid aux yeux : New York a assuré un drôle de grand écart avec deux tendances de fond assez contradictoires. Les transparences sont ainsi allées bon train, prenant la forme de robes de mousseline verte, ocre, lilas ou rose bubble-gum où l’on voit tout en dessous chez Coach, des robes façon nuisette grand soir pour héritière de la famille Addams chez Rodarte, de la combi ultrasexy chez Heron Preston, des crop tops en gaze chez Dion Lee… A l’inverse, les poils viennent réchauffer d’autres silhouettes, avec de la fausse fourrure, en étoles chez Altuzarra, en débardeur chez Eckhaus Latta, en survêtement chez Palomo Spain, et de la peau de mouton en veux-tu en voilà chez Khaite qui en a utilisé pour tailler ses manteaux, mais aussi des pantalons et même des mules.
Un nom à retenir : Khaite
Titulaire du prix « designer de l’année » dans la catégorie mode féminine au CFDA Fashion Awards en novembre 2022, Catherine Holstein s’impose comme une actrice incontournable de la fashion week de New York avec sa marque Khaite, fondée en 2016. Dans sa nouvelle boutique de Mercer Street, elle a présenté une collection élégante et très portable. Les mannequins ont l’air chics et puissantes dans leurs longs manteaux de fourrure, leurs vestes croisées, leurs longues jupes transparentes qui frôlent le sol. Un juste équilibre entre minimalisme et excentricité qui justifie son succès et l’ouverture prochaine de dix nouvelles boutiques dans les cinq prochaines années.
Des défilés surréalistes
Pour tirer son épingle du jeu dans les méandres des réseaux sociaux, il faut créer des images fortes. Apporter une touche surréaliste aux vêtements se révèle souvent un bon pari. Ainsi du duo Area qui dégaine une improbable suite de créations imitant des bananes fraîches ou en décomposition (en robes de velours, bustier en denim, crop top en perles…) ou des pastèques. Ou, dans un autre genre, Hillary Taymour, du label Collina Strada, a bluffé son monde grâce à des masques et prothèses reprenant les appendices d’animaux (oreilles d’âne, groins de cochon, becs de canard, tête de chien…), façonnés par la maquilleuse britannique Isamaya Ffrench. Des accessoires donnant à ses vêtements, composés en superpositions de dentelle, satin, flanelle ou métrages invendus de tissu à carreaux, une étrangeté impossible à rater. Mais aussi un message de sensibilisation au végétarisme. Titre de la collection ? « S’il vous plaît, ne mangez pas mes amis ! »
Des businesswomen qui montent en puissance
Particulièrement en forme cette saison, Tory Burch et Gabriela Hearst ont pour point commun d’avoir fondé leur label indépendant et de se démener, chaque saison, pour lui injecter de l’oxygène et le développer. La première, habile pour inventer des accessoires à succès, réhabilite les talons à bouts pointus des années 2000 et multiplie les sacs à porter à la main. Elle y adjoint de grands manteaux, des tops en satin, des pulls cachemire, quelquefois piqués de détails nonchalants ou comme volontairement terminés à la va-vite : bords francs, ceinture de traviole, épingle à nourrice laissée dans la toile… Dans un genre plus modeste, Gabriela Hearst continue aussi de tracer son chemin. Nommée directrice artistique de la maison Chloé en 2020, elle n’a pas renoncé à sa propre griffe new-yorkaise. Cette saison encore, le défilé Gabriela Hearst fait partie des propositions les plus convaincantes, avec des mailles épaisses, des manteaux en cuir tressés et des tailleurs sobres inspirés du travail de l’architecte Eileen Gray.
Une recherche formelle plus développée
Historiquement, la fashion week de New York était surtout réputée pour son sportswear et ses tenues faciles à porter. Mais cette saison, certains créateurs ont poussé la mode américaine dans ses retranchements. Jamais à court d’effets spectaculaires, Thom Browne a proposé sa variation du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry : manteaux à épaules étirées, corsets en jacquard, frénésie de crinolines et de nœuds, tweed à bouclette et tailoring à rayures rugby déconstruit et réassemblé. Ailleurs, l’Espagnol Alejandro Gomez Palomo de Palomo Spainest retourné en enfance, à coups de robes naïves de gamines idéalistes portées par des garçons musclés ou des pièces pop, plumées, à sequins, en tissu-éponge, brodées de cristaux… Quant à l’Américaine Carly Mark de Puppets and Puppets, confidentielle jusqu’alors, elle a su se faire remarquer avec une parade horrifique et sculpturale, dominée par le rouge sang, nourrie du film Faux-semblants (1988) de David Cronenberg.