trente après, à Kinunga, tueurs et rescapés côte à côte

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Les plantations de bananiers et de caféiers dévalent vers les eaux bleues et argentées du lac Kivu. En longeant la côte vers le sud, on découvre une crique isolée à côté de champs de maïs, de sorgho et de haricots. Pour les exploitations de thé vert, il faut remonter une piste abrupte jusqu’à la route goudronnée. Si elle n’a pas été ravinée par la pluie, il faut compter trois quarts d’heure à moto puis encore trois heures de voiture pour se rendre à Kigali, la capitale. Les habitants du village de Kinunga, agriculteurs ou pêcheurs pour la plupart, s’y aventurent rarement.

Implanté sur des coteaux du district de Rutsiro, dans l’ouest du Rwanda, Kinunga est aujourd’hui un village paisible de près de 900 habitants. Trente ans plus tôt, il fut l’un des multiples théâtres du génocide des Tutsi qui fit jusqu’à un million de morts, selon les Nations unies. « Il reste de nombreux cadavres dans les champs, assure Elias, 61 ans. En juin 2023, un voisin a retrouvé cinq corps pendant qu’il cultivait sa parcelle. »

Si le génocide fut le point d’achèvement des massacres qui ont visé la minorité tutsi après l’indépendance du Rwanda, en 1962, à Kinunga on se souvient que c’est à partir de la fin des années 1960 que la situation s’est tendue. « A l’école, les Tutsi, qui devaient être six ou sept [dans une classe de 30 élèves], étaient toujours séparés des autres, se souvient Elias. Même s’ils étaient premiers de leur classe, les professeurs les faisaient redoubler chaque année. » « Ils nous traitaient de cafards, de serpents, se souvient Marie (le prénom a été changé à sa demande). A la sortie de l’école, les élèves nous frappaient et nous crachaient dessus. »

Cette violence s’accentue dans toute la province après le coup d’Etat de Juvénal Habyarimana, le 5 juillet 1973. Des vaches des Tutsi sont volées ou tuées. Des maisons sont brûlées. Parfois pire. « J’avais 10 ans quand des voisins ont tué mon père, raconte Elias. Ils l’ont frappé à la tête avec une massue cloutée. Caché dans un arbre, j’ai assisté à la scène puis je me suis échappé dans la brousse. »

« Pourchassés de partout »

A Kinunga, c’est par la radio qu’on apprend la mort, le 6 avril 1994, du président Habyarimana, tué dans son avion qui le ramenait à Kigali, accompagné de son homologue burundais. « Le 7 avril au petit matin, tout le monde ne parlait que de ça, se souvient Elias. J’avais très peur. » A la Radio-télévision libre des Mille Collines (RTLM), la mort du chef de l’Etat est attribuée au Front patriotique rwandais (FPR, désormais au pouvoir), le mouvement politico-militaire formé pour l’essentiel par des exilés tutsi en Ouganda. « La RTLM diffusait tous les jours des messages disant qu’il fallait tuer tous les Tutsi, se souvient Boaz, 25 ans à l’époque. J’écoutais les émissions avec mon père. Lui, il détestait les Tutsi depuis toujours. »

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